Angoisse

Il est malade, il souffre et je ne puis rien faire,

Rien pour le soulager, rien même pour lui plaire.

Je n’ose m’informer tout haut de sa santé ;

L’intérêt que j’y prends serait interprété.

J’ai peur de l’irriter par ma sollicitude,

Et Dieu sait cependant si mon inquiétude

N’est pas cent fois plus vive à la cacher ainsi !

Hélas ! veiller sur moi, feindre encor, quel souci !

N’être pas toute à lui, quand mon unique envie

Eût été pour jamais de lui donner ma vie,

Quel supplice cruel ! — Je m’y résigne mieux

Lorsque alerte et dispos il est moins soucieux.

Mais le savoir tout seul, si malade et si triste,

Ayant besoin de moi sans que, moi, je l’assiste,

Oh ! ma force est vaincue et mon cœur déchiré !

Grâce aujourd’hui, mon Dieu ! j’en ai trop enduré.
Peut-être je ferais par mes soins, ma tendresse

Ce que les autres n’ont pas fait. Une caresse,

Un murmure, un regard doux et compatissants

A calmer la douleur sont souvent si puissants !

Un sourire… qui sait ce que peut un sourire ?

Oh ! je le guérirais, l’amour a tant d’empire,

L’amour !… il n’y croit point, je le sais aujourd’hui,

Mais que m’importe à moi, je ne pense qu’à lui !

Il est malade, il souffre et je ne puis rien faire,

Rien pour le soulager, rien même pour lui plaire.
S’il s’arrête un instant lorsqu’il vient à passer,

En silence, je sens mes larmes s’amasser

Et me brûler le cœur en tombant goutte à goutte.

Quel que soit le tourment que j’y trouve sans doute,

Ah ! je préfère encor l’entendre, lui parler,

Prendre ma faible part de ses peines, mêler

A ses soupirs les miens, trembler pour lui, le plaindre,

Chercher dans l’avenir ce que nous devons craindre

(Car c’est presque un lien qu’un même désespoir),

Et, malgré tout, je sens qu’il m’est doux de le voir.
J’eusse été loin d’ailleurs, l’amour m’eût avertie

Comme il a toujours fait par une sympathie

Étrange à concevoir en sa réalité.

Et dans quel trouble affreux n’eussé-je pas été ?

Avec ce doute au cœur, loin de lui, sans nouvelles,

Mes angoisses alors eussent été mortelles.

Quoi donc ! dois-je étouffer de trop justes regrets ?

Mais le pourrai-je, ô Dieu ! lorsque je le voudrais ?

Il est malade, il souffre et je ne puis rien faire,

Rien pour le soulager, rien même pour lui plaire.
Juin 18…

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Louisa Siefert Apprenti Poète

Par Louisa Siefert

Louisa Siefert, née à Lyon le 1er avril 1845 et morte à Pau le 21 octobre 1877, est une poétesse française.
Louisa Siefert (1845 - 1877) était une poétesse française qui a laissé une poésie empreinte de douleur mais soutenue d’un vif spiritualisme protestant. Son premier recueil de poèmes, Rayons perdus, paru en 1868, connaît un grand succès. En 1870, Rimbaud s'en procure la quatrième édition et en parle ainsi dans une lettre à Georges Izambard : « J'ai là une pièce très émue et fort belle, Marguerite […]. C'est aussi beau que les plaintes d'Antigone dans Sophocle.»

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