La laide

Femmes, vous blasphémez l’amour, quand d’aventure
Un seul rebelle insulte à votre royauté.
Ah ! C’est un pire affront qu’en silence elle endure,
La jeune fille à qui la marâtre nature
A dénié sa gloire et son droit : la beauté !

L’amour ne luit jamais dans l’œil qui la regarde ;
Elle pourrait quitter sa mère sans périls.
La laide ! On ne la voit jamais que par mégarde ;
Même contre un désir sa disgrâce la garde,
Pourquoi les jeunes gens l’accompagneraient-ils ?

Les jeunes gens sont fats, libertins et féroces.
La laide ! Pourquoi faire et qu’en ont-ils besoin ?
Ils la criblent entre eux de quolibets atroces,
Et c’est un collégien que, dans les bals de noces,
On charge de tirer cette enfant de son coin.

Pauvre fille ! Elle apprend que jeune elle est sans âge ;
Sœur des belles et née avec les mêmes vœux,
Elle a pour ennemi de son cœur son visage,
Et, tout au plus, parmi les compliments d’usage,
Un bon vieillard lui dit qu’elle a de beaux cheveux.

Depuis que j’ai souffert d’une forme charmante,
Je voudrais de mon mal près de toi me guérir,
Enfant qui sais aimer sans jamais être amante,
Ange qui n’es qu’une âme et n’as rien qui tourmente !
Pourquoi suis-je trop jeune encor pour te chérir ?

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René-François Sully Prudhomme Apprenti Poète

Par René-François Sully Prudhomme

René Armand François Prudhomme, dit Sully Prudhomme, né à Paris le 16 mars 1839 et mort à Châtenay-Malabry le 6 septembre 1907, est un poète français, premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.

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