Baigneuse

Si je suis reine au bal dans ma robe traînante,
Noyant mon petit pied dans un flot de velours,
Je suis belle en sortant de mes grands cerceaux lourds :
Je n’ai rien à gagner dans leur prison gênante.

Voyant mes cheveux d’or ondoyer sur mes reins,
La Vénus à la Conque aurait pâli d’envie.
Comme elle, sur les eaux, tritons et dieux marins,
Tout frémissants d’amour, longtemps m’auraient suivie.

Ingres n’a pas trouvé de plus riche dessin.
Quel merveilleux accord dans la grâce des lignes !
Ni taches, ni rousseurs… Pas de vulgaires signes
Jurant sur les tons purs de l’épaule ou du sein.

Ma bouche est un écrin meublé de perles fines.
J’ai de grands yeux plus doux que la fleur d’un bluet.
Pour me faire si blanche avec ce corps fluet,
Ma mère au fond d’un rêve a dû voir des hermines.

Que n’étais-je à la cour de France au temps jadis !
Quels sonnets m’eût chantés la Pléiade charmée !
Sous le ciel d’Italie, aux jours de Léon Dix,
Le divin Sanzio m’eût peinte et m’eût aimée !

Depuis longtemps déjà vous avez les yeux clos
(Hélas ! comme à regret je fleuris la dernière),
Diane de Poitiers, la belle Ferronnière,
Et Marion Delorme, et Ninon de Lenclos !

Ah ! dans l’ordre des temps quelles métamorphoses !
Les poètes sont morts… les amours sont grossiers…
Adieu le gentilhomme ! — Il faut plaire aux boursiers.
Gros phalènes ventrus se vautrant sur les roses.

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