Ce que Dit L’homme de Peine

Un hiver tout en branches et dur comme un cadavre
Un homme sur un banc dans une rue qui fuit la foule
Et que la solitude comble
Place à l’appareil banal du désespoir
A ses miroirs de plomb
A ses bains de cailloux
A ses statues croupissantes
Place à l’oubli du bien
Aux souvenirs en loques de la vérité
Lumière noire vieil incendie
Aux cheveux perdus dans un labyrinthe
Un homme qui s’est trompé d’étage de porte de clé
Pour mieux connaître pour mieux aimer
Où commence le paysage
A quelle heure
Où donc se termine la femme
Le soir se pose sur la ville
Le soir rejoint le promeneur dans son lit
Le promeneur nu
Moins gourmand d’un sein vierge
Que de l’étoile informe qui nourrit la nuit

Il y a des démolitions plus tristes qu’un sou

Indescriptibles et pourtant le soleil s’en évade en
chantant

Pendant que le ciel danse et fait son miel

Il y a des murs déserts où l’idylle fleurit

Où le plâtre qui se découd

Berce des ombres confondues

Un feu rebelle un feu de veines

Sous la vague unique des lèvres

Prenez les mains voyez les yeux

Prenez d’assaut la vue
Derrière les palais derrière les décombres
Derrière les cheminées et les citernes
Devant l’homme
Sur l’esplanade qui déroule un manteau de poussière
Traîne de fièvre
C’est l’invasion des beaux jours
Une plantation d’épées bleues
Sous des paupières écloses dans la foule des feuilles
C’est la récolte grave du plaisir
La fleur de lin brise les masques
Les visages sont lavés
Par la couleur qui connaît l’étendue
Les jours clairs du passé
Leurs lions en barre et leurs aigles d’eau pure
Leur tonnerre d’orgueil gonflant les heures
Du sang des aubes enchaînées
Tout au travers du ciel
Leur diadème crispé sur la masse d’un seul miroir
D’un seul cœur
Mais plus bas maintenant profondément parmi les
routes abolies

Ce chant qui tient la nuit

Ce chant qui fait le sourd l’aveugle

Qui donne le bras à des fantômes

Cet amour négateur

Qui se débat dans les soucis

Avec des larmes bien trempées

Ce rêve déchiré désemparé tordu ridicule

Cette harmonie en friche

Cette peuplade qui mendie
Parce qu’elle n’a voulu que de l’or
Toute sa vie intacte
Et la perfection de l’amour.

Paul Eluard

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Paul Eluard Apprenti Poète

Par Paul Eluard

Paul Éluard, nom de plume d'Eugène Grindel, né à Saint-Denis le 14 décembre 1895 et mort à Charenton-le-Pont le 18 novembre 1952, est un poète français. En 1916, il choisit le nom de Paul Éluard, patronyme emprunté à sa grand-mère maternelle, Félicie.

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