La Mort de l’amour

Une nuit, j’ai rêvé que l’Amour était mort.

Au penchant de l’Œta, que l’âpre bise mord,

Les Vierges dont le vent meurtrit de ses caresses

Les seins nus et les pieds de lys, les chasseresses

Que la lune voit fuir dans l’antre souterrain,

L’avaient toutes percé de leurs flèches d’airain.

Le jeune Dieu tomba, meurtri de cent blessures,

Et le sang jaillissait sur ses belles chaussures.

Il expira. Parmi les bois qu’ils parcouraient

Les loups criaient de peur. Les grands lions pleuraient.

La terre frissonnait et se sentait perdue.

Folle, expirante aussi, la Nature éperdue

De voir le divin sang couler en flot vermeil,

Enveloppa de nuit et d’ombre le soleil,

Comme pour étouffer sous l’horreur de ces voiles

L’épouvantable cri qui tombait des étoiles.

Laissant pendre sa main qui dompte le vautour,

Il gisait, l’adorable archer, l’enfant Amour,

Comme un pin abattu vivant par la cognée.

Alors Psyché vint, blanche et de ses pleurs baignée :

Elle s’agenouilla près du bel enfant-dieu,

Et sans repos baisa ses blessures en feu,

Béantes, comme elle eût baisé de belles bouches,

Puis se roula dans l’herbe, et dit : Ô Dieux farouches !

C’est votre œuvre, de vous je n’attendais pas moins.

Je connais là vos coups. Mais vous êtes témoins,

Tous, que je donne ici mon souffle à ce cadavre,

Pour qu’Éros, délivré de la mort qui le navre,

Renaisse, et dans le vol des astres, d’un pied sûr

Remonte en bondissant les escaliers d’azur !

Puis, comprimant son cœur que brûlaient mille fièvres,

Dans un baiser immense elle colla ses lèvres

Sur la lèvre glacée, hélas ! de son époux,

Et, tandis que la voix gémissante des loups

Montait vers le ciel noir sans lumière et sans flamme,

Elle baisa le mort, et lui souffla son âme.

Tout à coup le soleil reparut, et le Dieu

Se releva, charmé, vivant, riant. L’air bleu

Baisait ses cheveux d’or, d’où le zéphyr emporte

L’extase des parfums, et Psyché tomba morte.

Éros emplit le bois de chansons, fier, divin,

Superbe, et d’une haleine aspirant, comme un vin

Doux et délicieux, la vie universelle,

Mais sans s’inquiéter un seul moment de celle

Qui gisait à ses pieds sur le coteau penchant,

Et dont le front traînait dans la fange. Et, touchant

Les flèches dont Zeus même adore la brûlure,

Il marchait dans son sang et dans sa chevelure.
Décembre 1862.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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