Teddungal (guimm pour kôra)

Sall ! je proclame ton nom Sall ! du Fouta-Damga au Cap-Vert

Le lac Baïdé faisait nos pieds plus frais, et maigres nous marchions par le Pays-haut du Dyêri.

Et soufflaient les passions une tornade fauve aux piquants des gommiers. Où la tendresse du vert au Printemps ?

Yeux et narines rompus par Vent d’Est, nos gorges comme des citernes sonnaient creux à l’appel immense de la poitrine. C’était grande pitié.

Nous marchions par le Dyêri au pas du boeuf-porteur – l’aile du cheval bleu est pour les Maîtres-de-Saint-Louis – mais nos pieds dans la poussière des morts et nos têtes parées de nulle poudre d’or.

Or les scorpions furent de sable, les caméléons de toutes couleurs. Or les rires des singes secouaient l’arbre des palabres, comme peau de panthère les embûches zébraient la nuit.

Mille embûches des puissants: chaque touffe d’herbes cache un ennemi.

Nous avons ceint nos reins, affermi les remparts de notre coeur, nous avons repoussé lances et roses.

Roses et roses les navettes qui tissaient lêlés et yêlas, exquis les éloges des vierges quand la terre est froide à minuit.

Et leur tête était d’or, la lune éclairait le poème à contre-jour.

Belle ô Khasonkée parmi tes égales, à grande libellule les ailes déployées et lentement virant au flanc de la colline de Bakel

Jusqu’à ce mouvement soudain qui te brisait le cou, comme une syncope à battre mon coeur.

Ton sourire était doux sous paupières déclives, et grondaient les tam-tams peints de couleurs furieuses.

Ah ! ce coeur de poète, ah ! ce coeur de femme et de lion, quelle douleur à le dompter.

Or nous avons marché tels de blancs initiés. Pour toute nourriture le lait clair, et pour toute parole la rumination du mot essentiel.

Et lorsque le temps fut venu, je tendis un cou dur gonflé de veines comme une pile formidable.

C’était l’heure de la rosée, le premier chant du coq avait percé la brume, fait retourner les hommes des milices dans leur quatrième sommeil.

Les chiens jaunes n’avaient pas aboyé.

Et contre les portes de bronze je proférai le mot explosif teddungal !

Teddungal ngal du Fouta-Damga au Cap-Vert. Ce fut un grand déchirement des apparences, et les hommes restitués à leur noblesse, les choses à leur vérité.

Vert et vert Wâlo et Fouta, pagne fleuri de lacs et de moissons.

De longs troupeaux coulaient, ruisseaux de lait dans la vallée.

Honneur au Fouta rédimé ! Honneur au Royaume d’enfance !

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Léopold Sédar Senghor Apprenti Poète

Par Léopold Sédar Senghor

Léopold Sédar Senghor, né le 9 octobre 1906 à Joal, au Sénégal et mort le 20 décembre 2001 à Verson, en France, est un poète, écrivain, homme d'État français, puis sénégalais et premier président de la République du Sénégal et il fut aussi le premier Africain à siéger à l'Académie française.

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