Nadar

Les soirs qu’au Vaudeville, en ce moment sauvé,

On donne une première

Représentation ; quand le gaz relevé

Couvre tout de lumière ;
Et, pour mieux éblouir de feux les vils troupeaux

Aux faces inconnues,

Quand, les littérateurs déposant leurs chapeaux,

On voit leurs têtes nues ;
Chez tous ces rois à qui la notoriété

Enseigne ses allures,

Oh ! quel spectacle étrange en sa variété

Offrent les chevelures !
Les unes ont l’aspect de l’ébène ; voici

Les châtaines, les fauves,

Et les beaux fronts de neige, et l’on remarque aussi

Le bataillon des chauves.
C’est le brun Lherminier, Sasonoff et Murger,

Et Lemer, doux lévite.

Leurs cheveux peuvent dire en chœur avec Burger :

« Hurrah ! les morts vont vite ! »
Louis Boyer, qui prit plus d’une Alaciel

A plus d’un roi de Garbe,

Dissimule son nez, organe essentiel,

Sous de grands flots de barbe.
Son visage pourtant n’est pas seul envahi

Comme celui d’un Serbe,

Et de Goy, dont les mots ont un parfum d’Aï,

N’est pas non plus imberbe !
Car le Temps, qui sourit de se voir encensé

Par ceux dont il se joue,

Met, comme un lierre épars, ce feuillage insensé

Autour de notre joue !
Louis Lurine, habile à bien lancer les dards,

En a les tempes bleues.

Asselineau pourrait fournir des étendards

Aux pachas à trois queues.
Méry, chêne au milieu d’arbustes rabougris,

A vaincu les épreuves ;

Il est majestueux et fort sous son poil gris

Comme les dieux des fleuves.
Dumas, qui pourrait seul, mage éthiopien,

Chanter la sage Hélène,

Abrite des éclairs son crâne olympien

Sous des touffes de laine.
Mirecourt dans son ombre, antre de noirs projets,

Tente de noyer Planche,

Et René Lordereau dans ses boucles de jais

Garde une mèche blanche.
Villemessant, mêlé, comme les vieux railleurs,

De faune et de satyre,

Se coiffe en brosse. Et puis j’en passe, et des meilleurs !

Mais qui pourrait tout dire ?
Théo, roi de l’azur où la Muse le suit,

Amant de la Chimère,

En secouant sa tête, à l’entour fait la nuit,

Comme un héros d’Homère,
Et Barrière, qui va cherchant la vérité

Sans songer à sa gloire,

Montre pleins d’ouragans des yeux d’aigle irrité

Sous une forêt noire.
A côté d’eux on voit les blonds : c’est Dumas fils,

Dont l’ample toison frise ;

C’est Gaiffe, dont la joue est neige, ivoire et lys,

Et la lèvre cerise.
C’est Castille aux anneaux crêpés ; ses yeux ont lui

Pour quelque étrange rêve,
Et son chef lumineux brille comme celui

De notre grand’mère Ève.
Voillemot resplendit comme un jeune Apollon.

Fabuleux météore,

Sa tête radieuse au milieu d’un salon

Fait l’effet d’une aurore.
Arsène Houssaye, à qui souvent, le cœur troublé,

Rêvent les jeunes filles,

A des cheveux pareils à ceux des champs de blé

Tombant sous les faucilles.
Ils sont d’or pâle ; ceux du poëte nouveau

Qui, dans des vers bizarres,

A nommé le public : « Bête à tête de veau, »

Sont jaunes, fins et rares.
La Madelène est rose, et Marchal est vermeil

D’une façon hardie,

Mais Nadar sur son front aux comètes pareil

Arbore l’incendie !
Décembre 1858.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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