Princesse

Les blonds Amours, chez vous tapis,

Jeanne, sifflent comme des merles,

Et vous marchez sur les tapis

Avec des pantoufles de perles.
Aussi riche qu’Ali-Baba,

Vous cachez vos roses fleuries,

Comme la reine de Saba,

Sous des robes de pierreries.
Endormeuse comme un Léthé,

Vous grignotez, en vos auberges,

Des ortolans pendant l’été

Et, quand vient l’hiver, des asperges.
Et froide comme un iceberg,

Vous demandez un peu d’extase

A quelque grand johannisberg

De chrysoprase et de topaze.
Mais, ô déesse, dont les pas

Auraient fleuri toute Cythère,

Vous le savez, on ne vit pas

Seulement de pain, sur la terre.
Princesse aux désirs indomptés

Que nul obstacle ne rature,

Vous savourez les voluptés

De la saine littérature.
Des poëtes, sachant ravir,

Tressent, en leurs beaux soliloques,

Des rimes d’or, pour vous servir

De colliers et de pendeloques.
Et des romanciers, nécromants

Dévoués à l’heur de vous plaire,

Fabriquent pour vous des romans.

On en tire un seul exemplaire.
Ainsi, vous ne pleurez jamais.

A vous servir tout met du zèle;

Un zéphyr vous caresse. Mais

Avouez-le, mademoiselle,
Ces bonheurs vous semblent hideux

Auprès des maux que vous souffrîtes,

Du temps où vous mangiez pour deux

Sous de pommes de terre frites.
Car alors, ignorant le bain,

Vous aviez, fillette aux yeux pâles,

Treize ans, l’âge de Chérubin,

La bouche rose et les mains sales.
C’était en de charmants accords

Et dans la radieuse ivresse

Qu’on admirait sur votre corps

Vos petits haillons de pauvresse,
Vous aviez la saveur d’un fruit,

Et sur les places reculées

Des amants tressaillaient, au bruit

De vos savates éculées.
1er octobre 1889.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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