Aube

Victor Hugo
par Victor Hugo
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Un immense frisson émeut la plaine obscure.
C’est l’heure où Pythagore, Hésiode, Epicure,
Songeaient ; c’est l’heure où, las d’avoir, toute la nuit,
Contemplé l’azur sombre et l’étoile qui luit,
Pleins d’horreur, s’endormaient les pâtres de Chaldée.
Là-bas, la chute d’eau, de mille plis ridée,
Brille, comme dans l’ombre un manteau de satin
Sur l’horizon lugubre apparaît le matin,
Face rose qui rit avec des dents de perles
Le bœuf rêve et mugit, les bouvreuils et les merles
Et les geais querelleurs sifflent, et dans les bois
On entend s’éveiller confusément les voix ;
Les moutons hors de l’ombre, à travers les bourrées,
Font bondir au soleil leurs toisons éclairées ;
Et la jeune dormeuse, entrouvrant son œil noir,
Fraîche, et ses coudes blancs sortis hors du peignoir,
Cherche de son pied nu sa pantoufle chinoise.

Louange à Dieu ! toujours, après la nuit sournoise,
Agitant sur les monts la rose et le genêt,
La nature superbe et tranquille renaît ;
L’aube éveille le nid à l’heure accoutumée,
Le chaume dresse au vent sa plume de fumée,
Le rayon, flèche d’or, perce l’âpre forêt ;
Et plutôt qu’arrêter le soleil, on ferait
Sensibles à l’honneur et pour le bien fougueuses
Les âmes de Baroche et de Troplong, ces gueuses !

Jersey, le 28 avril 1853.

Victor Hugo

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