Possession du rêve

Il y avait grande foule, et foule élégante, ce jour-là sur la plage de Nice. Les habitants des villes plus élégantes de la côte, Cannes, par exemple, s’étaient rendus nombreux dans la cité cosmopolite. C’est qu’un mystère l’entourait désormais depuis l’arrivée d’un énigmatique et fastueux voyageur. Celui-ci avait loué une villa à Cimiez et dès lors les fêtes se succédaient sans arrêt, provoquées par lui, et fastueuses. Un jour, il avait jonché la promenade des Anglais d’une multitude de camélias et d’anémones auxquelles se mêlaient des algues rares recueillies à grands frais dans les profondes fosses des mers équatoriales et des arbres entiers de corail blanc, une autre fois il avait distribué par millier des pièces étranges d’une monnaie d’or inconnue, à l’avers de laquelle un signe inquiétant était gravé; au revers de laquelle resplendissait le chiffre 43 que nul n’avait pu expliquer.
Il s’agissait cette fois d’une fête dite la pêche miraculeuse. Des barques magnifiques peintes en blanc devaient emmener les invités non loin de la côte à des points déterminés à l’avance et là, chacun jetant son filet, devait pêcher un butin étonnant soigneusement déterminé par l’énigmatique nabab.
Il y avait là, sur le sable chaud et sur les galets luisants, la duchesse de Pavie et celle de Polynésie, les princes royaux de Suède, de Norvège, de Roumanie et d’Albanie, de nombreux comtes, marquis, vicomtes, barons et les représentants les plus en vue de cette aristocratie roturière, noblesse d’industrie ou d’art qui, en France, est mêlée si intimement à l’autre, cette noblesse historique dont les représentants ont tant de mal à lutter, pour le faste, avec les princes de la métallurgie et les rois de la finance.
Et l’organisateur de la fête quel était-il ? Nul ne l’avait jamais vu. Maharadjah assuraient les uns, banquier d’Amérique prétendaient les autres, mais nul n’aurait pu prouver ses dires. Chacun suivait ses rêves et donnait au mystère l’explication romanesque qui le séduisait. La villa de Cimiez était soigneusement fermée à toute visite. Pour éviter les indiscrétions, les domestiques malgaches qui composaient la suite du riche excentrique avaient dévoilé que des fils électriques à haute tension tendus au sommet du mur et au travers du parc formaient un infranchissable réseau où les imprudents se seraient pris comme des mouches dans une toile d’araignée. Mais l’audacieux assez favorisé par la chance pour pénétrer dans la villa aurait vu un jeune homme masqué donner au matin de ce jour de fête ses dernières instructions. Des esclaves malaises nues et chargées de bijoux, des négrillons nus aussi et porteurs de poissons rares, des coffrets remplis d’ambre ou de diamants ou de perles, des vestiges précieux des civilisations passées devaient être secrètement conduits dans quatre-vingts cloches à plongeurs placées à l’endroit où les barques s’amarreraient. Au moment où les filets seraient jetés, ceux-ci seraient immédiatement remplis les uns de femmes les autres de nègres, les autres de joyaux, constituant les présents magnifiques destinés aux invités. Les scaphandriers qui devaient surveiller l’opération étaient réunis autour du seigneur X., comme on l’appelait sur toute la côte où ses exploits émerveillaient la population. Sur son ordre, ils avaient revêtu leur costume, à l’exception du casque. Et c’était un spectacle peu banal que celui de cet élégant dandy au masque noir parlant devant ces hommes au costume baroque, aux visages énergiques.
Revenons cependant à la fête qui se préparait sur la plage. En cherchant bien parmi la foule richement habillée, nous découvrons Louise Lame, la chanteuse de music-hall, quelques membres du club des Buveurs de Sperme.
L’atmosphère était troublante. Sous le soleil tiède, ces hommes, les uns admis là par privilège de race ou de fortune, malgré leur bêtise évidente, les autres par réputation d’esprit mais d’une bêtise non moins réelle sinon visible, faisaient davantage ressortir le charme de ces jolies femmes aux corps admirables, aux yeux émouvants, aux toilettes surprenantes et luxueuses.
Trois orchestres jouaient sur la digue, faisant alterner les airs hawaiiens avec les blues et les rag-time. Mais nul ne savait que l’homme fortuné qui les recevait était parmi eux. Corsaire Sanglot, sous les apparences d’un jeune clubman, se promenait de groupe en groupe salué par ceux-là qui l’avaient rencontré à quelque fête, parlant à ceux-ci, voisin de table de jeux ou compagnon accidentel de golfe.
Enfin, les barques approchèrent de la plage. De robustes marins, le pantalon retroussé, portèrent les pêcheurs à bord de leurs embarcations. Celles-ci peintes de couleurs vives, fleuries, laissaient doucement ronronner leur moteur. Des noms charmants étaient peints à l’arrière : Le Zéphyr-Étoilé, La Chute-des-Léonides, La Mère-du-Sillage-Fatal, et d’autres. Un instant, les barques pleines restèrent immobiles puis, sur un commandement bref, elles se dirigèrent vers le large, traçant quatre-vingts sillages parallèles. Les toilettes claires des femmes s’épanouissaient sous le soleil. L’eau était transparente sur un sable uni où passait l’ombre des poissons effrayés.
La brise portait jusqu’aux embarcations la musique des orchestres. Une foule compacte, ceux qui n’avaient pas été invités, regardaient le spectacle du haut de la digue.
Cependant, les rires étaient nombreux parmi les pêcheurs de trésors. On s’interpellait d’une barque à l’autre, on trempait sa main dans l’eau, on fumait des cigarettes parfumées.
Les invités avertis se montraient du doigt deux gentlemen élégamment habillés, mais lourds d’allures : deux limiers de la Sûreté mêlés aux invités pour éviter tout vol, soit de la part des matelots malais qui dirigeaient les barques, soit d’un voleur attiré là par l’appât d’un riche et facile butin sur la personne de ces femmes frivoles, dans les poches de ces insouciants garçons.
Corsaire Sanglot, à l’arrière d’une des barques songeait, Louise Lame et la chanteuse de music-hall, serrées l’une contre l’autre, éprouvaient une angoisse inexplicable.
Brusquement, les moteurs cessèrent de gronder. On était arrivé à la pêcherie merveilleuse. Déjà, on lançait les filets quand à l’horizon apparut une raie d’écume blanche qui se rapprochait. On n’y prêta d’abord pas attention. Mais l’un des marins l’ayant observée s’écria soudain : « Les requins ! Les requins ! »
C’étaient eux en effet, ils approchaient par rapides coups de queue et, de la digue où tout Nice était groupé, un grand cri d’angoisse s’éleva. Les barques se mirent à fuir, mais les requins n’étaient pas loin. Brusquement, ils plongèrent. Un instant long et tragique puis les flots se colorèrent de rouge. C’était du sang. Puis quelqucs requins reparurent qui foncèrent sur les barques. C’est alors que le Corsaire Sanglot…

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Robert Desnos Apprenti Poète

Par Robert Desnos

Robert Desnos est un poète français, né le 4 juillet 1900 à Paris et mort du typhus le 8 juin 1945 au camp de concentration de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie à peine libéré du joug de l’Allemagne nazie.

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