Pluie

Quand les cieux taciturnes

Sur nous vident leurs urnes

Et dans ces durs assauts

Pleuvent à seaux,
Les foules éblouies

Portent des parapluies

Montrant, en rang d’oignons,

Leurs champignons.
Le parapluie, ô rage!

Est mouillé par l’orage.

Sous son modeste abri

Fort assombri,
L’employé, triste mâle,

Se dirige, plus pâle

Que le grand Deburau,

Vers son bureau.
Gens aux moeurs policées,

Dans les vastes lycées

Entrent ces confesseurs,

Les professeurs.
Vers les bibliothèques,

Pour leurs études grecques

Se hâtent les savants,

Malgré les vents.
Tous ont des parapluies.

Oui tous, et même, enfuies

Au premier chant du coq,

O Paul de Kock!
De sveltes couturières,

Marchant, aventurières,

Dans Paris obscurci,

En ont aussi.
Leurs jupes retroussées,

Vainement courroucées

En de vaillants combats,

Montrent les bas.
Malgré toi, c’est l’absinthe!

Les yeux courent, ô sainte

Pudeur, qui t’immolais,

Sur leurs mollets.
Parfois, ruse divine,

Au-dessus on devine,

Et ce n’est pas plus cher,

Un peu de chair.
Assez! — le Parapluie,

Que le soleil essuie,

En bravant le typhon

Reste bouffon.
Il est grave, il est digne.

Jamais, âme bénigne,

Bouvard ni Pécuchet

Ne le cachait.
On l’emporte au Mont-Dore

Et plus d’un vieux adore,

Comme sur un autel,

Cet immortel.
Par lui le sage évite

L’omnibus qui court vite,

Faisant aux gens bien nés

Des pieds de nez,
Et l’incurable fiacre

Qui fait le simulacre,

Pour mieux vous effrayer,

De relayer.
Pour vous, ô quelle joie!

Sa coupole de soie

Rend les noirs ouragans

Moins arrogants,
Et l’on est fier et libre,

Quand dans votre main vibre

Son manche de roseau,

Comme un oiseau!
12 mars 1891.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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