Flânerie

Comme aux pays tunisiens,

Le soleil flambe sur la ville.

O mes amis, Parisiens,

Vivez! Tout est calme et tranquille.
Nous voudrions qu’on s’entêtât

Pour le bien. Le mieux est encore

De travailler de son état,

Comme Gavroche ou Stésichore.
Pierreuse, enchante les voyous!

Écolier, fouaille la toupie!

Cantonnier, casse des cailloux!

Chroniqueur, fais de la copie!
Bon rimeur, imite Gautier:

Presse les rimes attardées.

Car si chacun fait son métier,

Les vaches seront bien gardées.
Le Devoir est très haut juché.

Pourtant, chacun dans votre sphère,

Après avoir longtemps bûché,

Si vous n’avez plus rien à faire,
C’est bien. Allez vous promener,

Sur tous les boulevarts, qu’importe!

Sans savoir où peut vous mener

Le flot d’hommes qui vous emporte.
Philosophe, ne songez pas

Au progrès que l’intrigue arrête,

Et lesté par un bon repas,

Savourez votre cigarette,
Et cependant, quoique doué

De la sagesse analytique,

Chassez d’un beau geste enjoué

Le vieux cauchemar politique.
Bien que vous soyez fort constant

Dans l’amour des romans en vogue,

Fils de Stendhal, pour un instant

Oubliez d’être psychologue.
Et n’écoutez pas les potins

Ni les discours à perdre haleine

Qui s’échangent tous les matins

Entre Cythère et Mitylène.
Mais bien qu’ayant assez souvent

Redouté qu’elles vous trompassent,

Quand leur jupe frissonne au vent

Regardez les femmes qui passent.
Et ne faites pas le têtu.

Les célestes on les devine,

Car il en est que la vertu

Pare d’une grâce divine.
Oui, maintenant, comme jadis!

Et bien souvent le diable endêve

Quand il voit tant de chastes lys

Et tant d’honnêtes filles d’Ève.
Il est des minettes aussi,

Et plus agiles que les fées,

Se glissent dans l’air adouci

Les onduleuses dégrafées,
Les couchants roses, dans leurs jeux,

Sous les pourpres occidentales

Baignent des plus splendides feux

L’horizon des horizontales,
Mais parfois l’idéal azur

Avec sa gloire et ses colères

Vient se refléter dans l’oeil pur

De quelques perpendiculaires.
14 octobre 1890.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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