Moïse


Et, debout devant
Dieu,
Moïse ayant pris place,
Dans le nuage obscur lui parlait face à face.

Il disait au
Seigneur : «
Ne finirai-je pas?

Où voulez-vous encor que je porte mes pas?

Je vivrai donc toujours puissant et solitaire?

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre! —

Que vous ai-je donc-fait pour être votre élu?

J’ai conduit votre peuple où vous avez voulu.

Voilà que son pied touche à la terre promise.

De vous à lui qu’un autre accepte l’entremise,

Au coursier d’Israël qu’il attache le frein;

Je lui lègue mon livre et la verge d’airain.

«
Pourquoi vous fallut-il tarir mes espérances,
Ne pas me laisser homme avec mes ignorances,
Puisque du mont
Horeb jusques au mont
Nébo
Je n’ai pas pu trouver le lieu de mon tombeau?
Hélas! vous m’avez fait sage parmi les sages!
Mon doigt du peuple errant a guidé les passages.
J’ai fait pleuvoir le feu sur la tête des rois ;
L’avenir à genoux adorera mes lois;

Des tombes des humains j’ouvre la plus antique,
La mort trouve à ma voix une voix prophétique,
Je suis très grand, mes pieds sont sur les nations,
Ma main fait et défait les générations.

Hélas! je suis,
Seigneur, puissant et solitaire,
Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre!…

… «
Sitôt que votre souffle a rempli le berger,
Les hommes se sont dit : «
Il nous est étranger »;
Et leurs yeux se baissaient devant mes yeux de

[flamme,
Car ils venaient, hélas ! d’y voir plus que mon âme.
J’ai vu l’amour s’éteindre et l’amitié tarir;
Les vierges se voilaient et craignaient de mourir.
M’enveloppant alors de la colonne noire,
J’ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire,
Et j’ai dit dans mon cœur :
Que vouloir à présent?
Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant,
Ma main, laisse l’effroi sur la main qu’elle touche,
L’orage est dans ma voix, l’éclair est sur ma bouche;
Aussi, loin de m’aimer, voilà qu’ils tremblent tous,
Et, quand j’ouvre les bras, on tombe à mes genoux.
O
Seigneur! j’ai vécu puissant et solitaire,
Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre! »…

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Alfred de Vigny Apprenti Poète

Par Alfred de Vigny

Alfred Victor de Vigny, ou comte de Vigny, né le 27 mars 1797 à Loches et mort le 17 septembre 1863 à Paris 8ᵉ, est un écrivain, romancier, dramaturge et poète français. Figure influente du romantisme, il écrit parallèlement à une carrière militaire entamée en 1814 et publie ses premiers poèmes en 1822.

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