Le ver luisant

Juin parfumait la nuit, et la nuit transparente
N’était qu’un voile frais étendu sur les fleurs :
L’insecte lumineux, comme une flamme errante,
Jetait avec orgueil ses mobiles lueurs.

‘J’éclaire tout, ditil, et jamais la Nature
N’a versé tant d’éclat sur une créature !
Tous ces vers roturiers qui rampent au grand jour,
Celui qui dans la soie enveloppe sa vie,
Cette plèbe des champs, dont j’excite l’envie,
Me fait pitié, me nuit dans mon vaste séjour.
Nés pour un sort vulgaire et des soins insipides,
Immobiles et froids comme en leurs chrysalides,
La nuit, sur les gazons, je les vois sommeiller :
Moi, lampe aventureuse, au loin on me devine ;
Etincelle échappée à la source divine,
Je n’apparais que pour briller.

‘Sans me brûler, j’allume un phare à l’espérance ;
De mes jeunes époux il éveille l’amour ;
Sur un trône de fleurs, belles de ma présence,
J’attire mes sujets, j’illumine ma cour.

‘Et ces feux répandus dans de plus hautes sphères,
Ces diamants rangés en phares gracieux,
Ce sont assurément mes frères
Qui se promènent dans les cieux.
Les rois qui dorment mal charment leur insomnie
A regarder courir ces légers rayons d’or ;
Au sein de l’éclatante et nocturne harmonie,
C’est moi qu’ils admirent encor :
Leur grandeur en soupire, et rien dans leur couronne
N’offre l’éclat vivant dont seul je m’environne !’

Ainsi le petit ver se délectait d’orgueil ;
Il brillait. Philomèle, à sa flamme attentive,
Interrompt son hymne de deuil
Que le soir rendait plus plaintive :
Jalouse, ou rappelant quelque exilé chéri,
Mélodieuse encor dans son inquiétude,
Amante de ses pleurs et de la solitude,
Elle épuisait son coeur d’un lamentable cri.
N’ayant de tout le jour cherché la moindre proie,
Par instinct, sans projet, sans joie,
Elle descend à la lueur
Qui sert de fanal pour l’atteindre ;
Et, sans même goûter de plaisir à l’éteindre,
S’en nourrit, pour chanter plus longtemps sa douleur.

Poésies

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Marceline Desbordes-Valmore Apprenti Poète

Par Marceline Desbordes-Valmore

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) est une poète française reconnue pour la richesse et la variété de son lyrisme romantique. Surnommée « Notre-Dame-des-Pleurs » en raison des drames qui jalonnent sa vie, elle émeut par sa sincérité et son talent naturel. Elle épanche dans sa poésie toutes les peines qu'elle a connues durant sa vie. Ses poèmes traduisent ses cris de passion, ses élans vers l’au-delà, et la nostalgie du pays natal. Son talent poétique se voit reconnu par les symbolistes, notamment Rimbaud et Verlaine, qui applaudissent son absence de rhétorique.

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