Le miracle

Sous la pluvieuse lumière,
Dans l’air si glacé, la chaumière,

Non loin d’un marais insalubre,
Est lamentablement lugubre.

Au-dedans, c’est tant de misère
Que d’y penser le cœur se serre !

De chaque solive minée,
Du grand trou de la cheminée

Dont le foyer large est tout vide,
Le froid tombe en un jour livide ;

Et la bise a l’entrée aisée
Par la porte et par la croisée.

Or, dans ce logis où la fièvre
Allume l’œil, verdit la lèvre,

Et fait sonner la toux qui racle,
Il va s’accomplir un miracle :

La femme est accroupie à l’angle
Du mur, près d’un vieux lit de sangle.

Stupéfaite, elle est là qui lorgne
Sa petite fenêtre borgne,

Puis, machinale, elle emmitoufle
Son nourrisson presque sans souffle.

Trois petiots ayant triste mine
Rampent comme de la vermine

Sur une mauvaise paillasse
Dans un coin d’ombre où ça brouillasse.

Et la malheureuse sanglote
Et dit d’une voix qui grelotte,

Comme se parlant dans le songe
Où la réalité la plonge :

« Au moulin je suis retournée…
On m’a refusé la fournée.

Plus de pain ! a-t-elle été courte
Malgré mes jeûnes, cette tourte !

Et plus de lait dans ma mamelle
Pour nourrir l’enfant ! tout s’en mêle. »

Elle pense, elle se consulte,
Délibère. Rien n’en résulte,

Sinon qu’elle voit plus affreuse
Sa détresse qu’elle recreuse.

À la fin, pour la mort elle opte,
Et voici le plan qu’elle adopte :

« Oui, son sort n’étant résoluble
Qu’ainsi, ce soir elle s’affuble

De sa capote berrichonne,
Complètement s’encapuchonne,

Alors, sa petite famille
Dans les bras, vers l’étang qui brille

Elle s’en va, s’avance jusque
Au bord, et puis, un plongeon brusque !… »

Mais, vite, sa raison s’adresse
Aux scrupules de sa tendresse.

« Tes enfants ? c’est plus que ton âme ;
Tu les aimes trop, pauvre femme !

T’ont-ils donc demandé de naître
Tes petits, pour leur ôter l’être ?

Même privés de subsistance
Ils ont le droit à l’existence.

D’ailleurs, aurais-tu le courage
D’accomplir un pareil ouvrage ?

Vois-tu tes douleurs et tes hontes,
Quand il faudrait rendre des comptes

Au père qu’à toutes les heures
Avec tant de regret tu pleures ? »

Elle maudit l’horrible idée
Qui l’avait d’abord obsédée.

Mais la souffrance lui confisque
Son reste de force ! elle risque

De se consumer tant, qu’elle aille
Trop mal, pour soigner sa marmaille,

Mendier ? mais, bien loin, sous le givre,
Les enfants ne pourraient la suivre.

Et personne de connaissance
Pour les garder en son absence !

« Que faire ? si pour eux je vole…
La prison ! j’en deviendrais folle,

Puisqu’elle me serait ravie
Leur présence qui fait ma vie. »

Elle songe, et son corps en tremble…
« Oh ! si nous mourions tous ensemble,

Eux si malades, moi si frêle,
De la bonne mort naturelle ! »

Et voilà qu’elle est exaucée
La prière de sa pensée :

Car, soudain, les trois petits pâles
Poussent à l’unisson trois râles.

Elle aussi le trépas la touche
À l’instant même où sur sa bouche

Son nourrisson expire, en sorte
Qu’elle le baise en étant morte,

Tandis que, vers eux étendues,
Ses deux maigres mains de statue,

Couleur des cierges funéraires,
Semblent bénir les petits frères.

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Maurice Rollinat Apprenti Poète

Par Maurice Rollinat

Joseph Auguste Maurice Rollinat, né à Châteauroux le 29 décembre 1846 et mort à Ivry-sur-Seine le 26 octobre 1903, est un poète, musicien et interprète français.

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