Dizains

I

Dans son jardin Vénus se reposait
Avec Amour, sa douce nourriture,
Lequel je vis, lorsqu’il se déduisait,
Et l’aperçus semblable à ma figure
Car il était de très basse stature,

Moi très petit ; lui pâle, moi transi.
Puisque pareils nous sommes donc ainsi
Pourquoi ne suis second dieu d’amitié ?
Las ! je n’ai pas l’arc et les traits aussi
Pour émouvoir ma maîtresse à pitié.

II

Vois que l’hiver tremblant en son séjour,
Aux champs tout nus sont leurs arbres faillis.
Puis le printemps ramenant le beau jour,
Leur sont bourgeons, feuilles, fleurs, fruits saillis.
Arbres, buissons, et haies, et taillis
Se crêpent lors en leur gaie verdure.
Tant que sur moi le tien ingrat froid dure,
Mon espoir est dénué de son herbe
Puis, retournant le doux ver sans froidure,
Mon an se frise en son avril superbe.

III

Le peintre peut de la neige dépeindre
La blancheur telle à peu près qu’on peut voir ;
Mais il ne sait à la froideur atteindre,
Et moins la faire à l’oeil apercevoir.
Ce me serait moimême décevoir,
Et grandement me pourraiton reprendre,
Si je tâchais à te faire comprendre
Ce mal qui peut voire l’âme opprimer,
Que d’un objet comme peste on voit prendre,
Qui mieux se sent qu’on ne peut exprimer.

IV

Le doux sommeil de ses tacites eaux
D’oblivion ! m’arrosa tellement
Que de la mère et du fils les flambeaux
Je pressentais éteints totalement,
Ou le croyais, et, spécialement,

Quand la nuit est à repos inclinée.

Mais le jour vint, et l’heure destinée,
Où revivant mille fois je mourus,
Lorsque vertu en son zèle obstinée
Perdit au monde Angleterre et
Morus.

v

Délie aux champs, troussée et accoutrée .
Comme un veneur, s’en allait ébattant.
Sur le chemin, d’Amour, fut rencontrée,
Qui partout va jeunes amants guettant,
Et lui a dit, près d’elle voletant
‘Comment vastu sans armes à la chasse ?
N’aije mes yeux, ditelle, dont je chasse,
Et par lesquels j’ai maint gibier surpris
Que sert ton arc qui rien ne te pourchasse,
Vu mêmement que par eux je t’ai pris ?’

VI

Amour, brûlant de se voir en portrait,
Bien eût voulu qu’Appelle fût en vie ;
A son défaut autre peintre il convie,
Lequel déjà achevait arc et trait,
Croyant avoir portraiture accomplie ;
Quand je lui dis :
‘Ami, que faistu là ?
Pour le bien peindre efface tout cela,
Et seulement peins vite ma
Délie. ‘

Délie

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Maurice Scève Apprenti Poète

Par Maurice Scève

Maurice Scève, né vers 1501 à Lyon et mort vers 1564, est un poète français. Il est l'auteur de Délie, objet de plus haute vertu.

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