Au Roy

Estil vrai, grand Monarque, et puisje me vanter
Que tu prennes plaisir à me ressusciter ;
Qu’au bout de quarante ans Cinna, Pompée, Horace,
Reviennent à la mode et retrouvent leur place,
Et que l’heureux brillant de mes jeunes rivaux
N’ôte point leur vieux lustre à mes premiers travaux ?
Achève. Les derniers n’ont rien qui dégénère.
Rien qui les fasse croire enfants d’un autre père ;
Ce sont des malheureux, étouffés au berceau,
Qu’un seul de tes regards tirerait du tombeau.
On voit Sertorius, Oedipe, et Rodogune,
Rétablis par ton choix dans toute leur fortune :
Et ce choix montrerait qu’Othon et Suréna
Ne sont pas des cadets indignes de Cinna.
Sophonisbe à son tour, Attila, Pulchérie,
Reprendraient pour te plaire une seconde vie ;
Agésilas en foule aurait des spectateurs,
Et Bérénice enfin trouverait des acteurs.
Le peuple, je l’avoue, et la cour les dégradent ;
J’affaiblis, ou du moins ils se le persuadent :
Pour bien écrire encor j’ai trop longtemps écrit,
Et les rides du front passent jusqu’à l’esprit ;
Mais contre cet abus que j’aurais de suffrages
Si tu donnais les tiens à mes derniers ouvrages !
Que de tant de bonté l’impérieuse loi
Ramènerait bientôt et peuple et cour vers moi !
‘ Tel Sophocle à cent ans charmait encore Athènes,
Tel bouillonnait encor son vieux sang dans ses veines,
Diraientils à l’envi, lorsque Oedipe aux abois
De ses juges pour lui gagna toutes les voix. ‘
Je n’irai pas si loin, et, si mes quinze lustres
Font encor quelque peine aux Modernes illustres,
S’il en est de fâcheux jusqu’à s’en chagriner,
Je n’aurai pas longtemps à les importuner.
Quoi que je m’en promette, ils n’en ont rien à craindre ;
C’est le dernier éclat d’un feu prêt à s’éteindre :
Sur le point d’expirer, il tâche d’éblouir,
Et ne frappe les yeux que pour s’évanouir.
Souffre, quoi qu’il en soit, que mon âme ravie
Te consacre le peu qui me reste de vie :
L’offre n’est pas bien grande, et le moindre moment
Peut dispenser mes voeux de l’accomplissement.
Préviens ce dur moment par des ordres propices ;
Compte mes bons désirs comme autant de services.
Je sers depuis douze ans, mais c’est par d’autres bras
Que je verse pour toi du sang dans nos combats :
J’en pleure encore un fils, et tremblerai pour l’autre
Tant que Mars troublera ton repos et le nôtre ;
Mes frayeurs cesseront enfin par cette paix
Qui fait de tant d’Etats les plus ardents souhaits.
Cependant, s’il est vrai que mon service plaise,
Sire, un bon mot, de grâce, au Père de la Chaise.

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