La paix

Comment je l’imagine ?
Eh bien, je ne sais pas…
Peutêtre enfant, très blonde, et tenant dans ses bras
Des branches de glycine ?

Peutêtre plus petite encore, ne sachant
Que sourire et jaser dans un berceau penchant
Sous les doigts d’une vieille femme qui fredonne…

Parfois, je la crois vieille aussi… Belle, pourtant,
De la beauté de ces Madones
Qu’on voit dans les vitraux anciens. Longtemps
Bien avant les vitraux elle fut ce visage
Incliné sur la source, en un bleu paysage
Où les dieux grecs jouaient de la lyre, le soir.

Mais à peine un moment venaitelle s’asseoir
Au pied des oliviers, parmi les violettes.
Bellone avait tendu son arc… Il fallait fuir.
Elle a tant fui, la douce forme qu’on n’arrête
Que pour la menacer encore et la trahir !

Depuis que la terre est la terre
Elle fuit… Je la crois donc vieille et n’ose plus
Toucher au voile qui lui prête son mystère.
Estelle humaine ? J’ai voulu
Voir un enfant aux prunelles si tendres !

Où ? Quand ? Sur quel chemin fautil l’attendre
Et sous quels traits la reconnaîtrontils
Ceux qui, depuis toujours, l’habillent de leur rêve ?
Estelle dans le bleu de ce jour qui s’achève
Ou dans l’aube du rose avril ?

Ecartant, les blés mûrs, paysanne aux mains brunes
Souritelle au soldat blessé ?
Comment la voyezvous, pauvres gens harassés,
Vous, mères qui pleurez, et vous, pêcheurs de lune ?

Estelle retournée aux Bois sacrés,
Aux missels fleuris de légendes ?
Dortelle, vieux Corot, dans les brouillards dorés ?
Dans les tiens, couleur de lavande,
Doux Puvis de Chavannes ? dans les tiens,
Peintre des Songes gris, mystérieux Carrière ?
Ou s’épanouitelle, Henri Martin, dans ta lumière ?

Et puis, je me souviens…
Un son de flûte pur, si frais, aérien,
Parmi les accords lents et graves ; la sourdine
De bourdonnants violoncelles vous berçant
Comme un océan calme ; une cloche passant,
Un chant d’oiseau, la Musique divine,
Cette musique d’une flotte qui jouait,
Une nuit, dans le chaud silence d’une ville ;
Mozart te donnant sa grande âme, paix fragile…

Je me souviens… Mais c’est peutêtre, au fond, qui sait ?
Bien plus simple… Et c’est toi qui, la connais,
Sans t’en douter, vieil homme en houppelande,
Vieux berger des sentiers blonds de genêts,
Cette paix des monts solitaires et des landes,
La paix qui n’a besoin que d’un grillon pour s’exprimer.

Au loin, la lueur d’une lampe ou d’une étoile ;
Devant la porte, un peu d’air embaumé…
Comme c’est simple, vois ! Qui parlait de tes voiles
Et pourquoi tant de mots pour te décrire ? Vois,
Qu’importent les images : maison blanche,
Oasis, arcenciel, angélus, bleus dimanches !
Qu’importe la façon dont chacun porte en soi,
Même sans le savoir, ton reflet qui l’apaise,
Douceur promise aux coeurs de bonne volonté…

Ah ! tant de verbes, d’adjectifs, de parenthèses !
Moi qui la sens parfois, dans le jardin, l’été,
Si près de se laisser convaincre et de rester
Quand les hommes se taisent…

Douleur, je vous déteste

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Par Sabine Sicaud

Sabine Sicaud, née le 23 février 1913 à Villeneuve-sur-Lot et morte le 12 juillet 1928 dans la même commune, est une poétesse française. Elle est née et morte à Villeneuve-sur-Lot, dans la maison de ses parents, nommée La Solitude. Solitude est aussi le titre d'un de ses poèmes.

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07 – Incliné sur les soirs je jette un filet triste…

L’avarie