Les Cariatides

C’est un palais du dieu, tout rempli de sa gloire.
Cariatides soeurs, des figures d’ivoire

Portent le monument qui monte à l’éther bleu,

Fier comme le témoin d’une immortelle histoire.
Quoique l’archer Soleil avec ses traits de feu

Morde leurs seins polis et vise à leurs prunelles,

Elles ne baissent pas les regards pour si peu.
Même le lourd amas des pierres solennelles

Sous lesquelles Atlas plierait comme un roseau,

Ne courbera jamais leurs têtes fraternelles.
Car elles savent bien que le mâle ciseau

Qui fouilla sur leurs fronts l’architrave et les frises

N’en chassera jamais le zéphyr et l’oiseau.
Hirondelles du ciel, sans peur d’être surprises

Vous pouvez faire un nid dans notre acanthe en fleur :

Vous n’y casserez pas votre aile, tièdes brises.
O filles de Paros, le sage ciseleur

Qui sur ces médaillons a mis les traits d’Hélène

Fuit le guerrier sanglant et le lâche oiseleur.
Bravez même l’orage avec son âpre haleine

Sans craindre le fardeau qui pèse à votre front,

Car vous ne portez pas l’injustice et la haine.
Sous vos portiques fiers, dont jamais nul affront

Ne fera tressaillir les radieuses lignes,

Les héros et les Dieux de l’amour passeront.
Les voyez-vous, les uns avec des folles vignes

Dans les cheveux, ceux-là tenant contre leur sein

La lyre qui s’accorde au chant des hommes-cygnes ?
Voici l’aïeul Orphée, attirant un essaim

D’abeilles, Lyaeus qui nous donna l’ivresse,

Éros le bienfaiteur et le pâle assassin.
Et derrière Aphrodite, ange à la blonde tresse,

Voici les grands vaincus dont les coeurs sont brisés,

Tous les bannis dont l’âme est pleine de tendresse ;
Tous ceux qui sans repos se tordent embrasés

Par la cruelle soif de l’amante idéale,

Et qui s’en vont au ciel, meurtris par les baisers,
Depuis Phryné, pareille à l’aube orientale,

Depuis cette lionne en quête d’un chasseur

Qui but sa perle au fond de la coupe fatale,
Jusqu’à toi, Prométhée, auguste ravisseur !

Jusqu’à don Juan qui cherche un lys dans les tempêtes !

Jusqu’à toi, jusqu’à toi, grande Sappho, ma soeur !
J’ai voulu, pour le jour des éternelles fêtes

Réparer, fils pieux de leur gloire jaloux,

Le myrte et les lauriers qui couronnent leurs têtes.
J’ai lavé de mes mains leurs pieds poudreux. Et vous,

Plus belles que le choeur des jeunes Atlantides,

Alors qu’ils vous verront d’un oeil terrible et doux,
Saluez ces martyrs, ô mes Cariatides !
Juillet 1842.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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