Bonheur lucide

J’avais le souvenir d’ineffables aurores,
De ruisseaux cascadants cachés dans les vallons,
De pourpres archipels et de grèves sonores
Que visitent les flots crêtes et les hérons.

Je gardais le sourire accueillant des pinières
Qui filtrent le soleil dans leur dôme verni.
J’avais en moi des horizons où les rivières,
Dévalant des hauteurs, coulent vers l’infini.

Et lorsque je voulus m’exprimer, ô Nature,
Je trouvai ma pensée unie à ton décor,
Fondue en toi, plus souple, harmonieuse et pure
Et sachant se parer de symboles et d’or.

Ce n’étaient, cependant, que des baisers rapides
Ces révélations de formes, de couleurs ;
Je passais, tu venais me ravir, mais stupide
J’allais chercher au loin des plaisirs tapageurs.

Aujourd’hui l’art m’a fait abandonner la hâte
De voir ce qui m’attend au terme du chemin.
Et chasse de mon cœur l’accoutumance ingrate
D’assujettir le jour présent au lendemain.

Libre, je viens à toi. Nature qui m’appelles.
Déjà mes pas, froissant le trèfle, ont dégagé
L’odeur d’après-midi vaguement sensuelles.
Je m’enivre de paix riante et d’air léger.

La lumière éblouit l’esprit et l’étendue.
Les montagnes, là-bas, où finit le lac bleu,
Avec les bois distants en chaîne continue,
Font un cirque parfait, d’un dessin fabuleux.

Des arbres espacés monte le chant des grives.
La beauté de ce jour en moi trouve son nid,
Et semble une caresse ancienne que ravive
Un cœur infiniment lucide et rajeuni.

Voter pour ce poème!

Alphonse Beauregard Apprenti Poète

Par Alphonse Beauregard

Né à La Patrie (Compton en Québec) le 5 janvier 1881, Alphonse Beauregard doit abandonner ses études à la mort de son père. Il pratique alors divers métiers, tout en publiant des poèmes dès 1906 dans quelques journaux et revues (parfois sous pseudonyme de A. Chasseur). Il prend une part active à la rédaction du Terroir et devient secrétaire de l'école littéraire de Montréal, tout en travaillant comme commis au port de Montréal. À peine élu président de l'école, il meurt asphyxié au gaz le 15 janvier 1924. Son poème « Impuissance » est paradoxalement un des plus puissants de cette époque.

Ce poème vous a-t-il touché ? Partagez votre avis, critique ou analyse !

Chaque commentaire est une étincelle dans notre feu sacré. Enflammez-nous.
S’abonner
Notifier de
Avatar
guest
0 Avis
Inline Feedbacks
View all comments

Blancheur

Concordances