Les clairs de lune – II

Au plus creux des ravins emplis de blocs confus,
De flaques d’eau luisant par endroits sous les ombres,
La lune, d’un trait net, sculpte les lignes sombres
De vieux troncs d’arbres morts roides comme des fûts.

Dans les taillis baignés de violents aromes
Qu’une brume attiédie humecte de sueur,
Elle tombe, et blanchit de sa dure lueur
Le sentier des lions chasseurs de boeufs et d’hommes.

Un rauque grondement monte, roule et grandit.
Tout un monde effrayé rampe sous les arbustes ;
Une souple panthère arque ses reins robustes
Et de l’autre côté du ravin noir bondit.

Les fragments de bois sec craquent parmi les pierres ;
On entend approcher un souffle rude et sourd
Qui halète, et des pas légers près d’un pas lourd,
Des feux luisent au fond d’invisibles paupières.

Un vieux roi chevelu, maigre, marche en avant ;
Et, flairant la rumeur nocturne qui fourmille,
Le Col droit, l’oeil au guet, la farouche famille,
Lionne et lionceaux, suit, les mufles au vent.

Le père, de ses crins voilant sa tête affreuse,
Hume un parfum subtil dans l’herbe et les cailloux ;
Il hésite et repart, et sa queue au fouet roux
Par intervalles bat ses flancs que la faim creuse.

Hors du fourré, tous quatre, au faîte du coteau,
Aspirant dans l’air tiède une proie incertaine,
Un instant arrêtés, regardent par la plaine
Que la lune revêt de son blême manteau.

La mère et les enfants se couchent sur la ronce,
Et le roi de la nuit pousse un rugissement
Qui, d’échos en échos, mélancoliquement,
Comme un grave tonnerre, à l’horizon s’enfonce.

Poèmes barbares

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