Le Songe de Vaux – Éloge de la Poésie

‘ Ô vous qui m’écoutez, troupe noble et choisie,
Ainsi qu’eux quelque jour vous vivrez d’ambrosie ;
Mais Alcandre luimême aurait beau l’espérer,
S’il n’implorait mon art pour la lui préparer.
Ce point tout seul devrait me donner gain de cause :
Rendre un homme immortel sans doute est quelque chose ;
Apellanire peut par ses savantes mains
L’exposer pour un temps aux regards des humains
Pour moi, je lui bâtis un temple en leur mémoire ;
Mais un temple plus beau, sans marbre et sans ivoire,
Que ceux où d’autres arts, avec tous leurs efforts,
De l’Univers entier épuisent les trésors.
Par le second discours on voit que la Peinture
Se vante de tenir école d’imposture,
Comme si de cet art les prestiges puissants
Pouvaient seuls rappeler les morts et les absents !
Ce sont pour moi des jeux : on ne lit point Homère,
Sans que tantôt Achille à l’âme si colère,
Tantôt Agamemnon au front majestueux,
Le biendisant Ulysse, Ajax l’impétueux,
Et maint autre héros offre aux yeux son image.
Je les fais tous parler, c’est encor davantage.
La Peinture après tout n’a droit que sur les corps ;
Il n’appartient qu’à moi de montrer les ressorts
Qui font mouvoir une âme, et la rendent visible ;
Seule j’expose aux sens ce qui n’est pas sensible,
Et, des mêmes couleurs qu’on peint la vérité,
Je leur expose encor ce qui n’a point été.
Si pour faire un portrait Apellanire excelle,
On m’y trouve du moins aussi savante qu’elle ;
Mais je fais plus encor, et j’enseigne aux amants
A fléchir leurs amours en peignant leurs tourments.
Les charmes qu’Hortésie épand sous ses ombrages
Sont plus beaux dans mes vers qu’en ses propres ouvrages ;
Elle embellit les fleurs de traits moins éclatants
C’est chez moi qu’il faut voir les trésors du printemps.
Enfin, j’imite tout par mon savoir suprême ;
Je peins, quand il me plaît, la Peinture ellemême.
Oui, beauxarts, quand je veux, j’étale vos attraits :
Pouvezvous exprimer le moindre de mes traits ?
Si donc j’ai mis les dieux audessus de l’envie,
Si je donne aux mortels une seconde vie,
Si maint oeuvre de moi, solide autant que beau,
Peut tirer un héros de la nuit du tombeau,
Si, mort en ses neveux, dans mes vers il respire,
si je le rends présent bien mieux qu’Apellanire,
Si de Palatiane, au prix de mes efforts,
Les monuments ne sont ni durables, ni forts,
Si souvent Hortésie est peinte en mes ouvrages,
Et si je fais parler ses fleurs et ses ombrages,
Juges, qu’attendezvous ? et pourquoi consulter ?
Quel art peut mieux que moi cet écrin mériter ?
Ce n’est point sa valeur où j’ai voulu prétendre :
Je n’ai considéré que le portrait d’Alcandre.
On sait que les trésors me touchent rarement :
Mes veilles n’ont pour but que l’honneur seulement ;
Gardez ce diamant dont le prix est extrême ;
Je serai riche assez pourvu qu’Alcandre m’aime. ‘

Le Songe de Vaux

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Jean de La Fontaine Apprenti Poète

Par Jean de La Fontaine

Jean de La Fontaine, né le 8 juillet 1621 à Château-Thierry et mort le 13 avril 1695 à Paris, est un poète français de grande renommée, principalement pour ses Fables et dans une moindre mesure pour ses contes.

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