Résignation

Depuis un temps difforme, imprécis et mauvais,
On subissait le poids du malheur, on savait
Que du soi de jadis on n’était plus que l’ombre,
Mais l’esprit dérouté vaguait sur les décombres.
Puis, d’un coup, comme si mille rayons vainqueurs
Ensemble eussent frappé le point de la douleur,
La vérité paraît, brutale, irréductible :
Ce bonheur coutumier, constamment accessible,
Eau claire qu’on buvait sans même y réfléchir,
Jamais on ne pourra de nouveau le saisir.
Parmi d’autres bonheurs, musique tatillonne,
L’unique vrai, l’absent, fougueusement claironne.
L’amertume s’abat sur le cœur et l’étreint.
On revoit ceux qui vont leur route avec entrain,
Et l’on est dans son âme un paria qui roule
Dans la boue, en crachant un blasphème à la foule.
On se réveille las, mais sur la terre encore ;
On est surpris devant un familier décor,
Étrangement les sons parviennent à l’oreille.
Il circule du sable en soi depuis la veille.
L’idée a des ressacs autrefois inconnus,
Au cri d’une douleur des spectres sont venus.
On se prend à compter, alentour, ceux qui souffrent,
On voit, à l’horizon, se profiler des gouffres
Où des peuples entiers râlent dans les tourments.
Dans ces mers d’angoisse et de gémissements
On trouve puérile et banale sa peine
Qui ne menace pas d’une tombe prochaine ;
On chasse le tableau d’un essor triomphal
Comme un intrus dont la présence fait du mal.
Plus tard on songe, en remontant vers son enfance,
Qu’on voit depuis toujours, avec indifférence,
De multiples bonheurs de soi-même éloignés,
Et qu’on est seulement un peu plus résigné.

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Alphonse Beauregard Apprenti Poète

Par Alphonse Beauregard

Né à La Patrie (Compton en Québec) le 5 janvier 1881, Alphonse Beauregard doit abandonner ses études à la mort de son père. Il pratique alors divers métiers, tout en publiant des poèmes dès 1906 dans quelques journaux et revues (parfois sous pseudonyme de A. Chasseur). Il prend une part active à la rédaction du Terroir et devient secrétaire de l'école littéraire de Montréal, tout en travaillant comme commis au port de Montréal. À peine élu président de l'école, il meurt asphyxié au gaz le 15 janvier 1924. Son poème « Impuissance » est paradoxalement un des plus puissants de cette époque.

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