Enfin cette beauté m’a la place rendue

STANCES.

1596.

Enfin cette beauté m’a la place rendue,
Qu’elle avait contre moi si longtemps défendue ;
Mes vainqueurs sont vaincus ; ceux qui m’ont fait la loi,
La reçoivent de moi.

J’honore tant la palme acquise en cette guerre,
Que si, victorieux des deux bouts de la terre,
J’avais mille lauriers de ma gloire témoins,
Je les priserais moins.

Au repos où je suis tout ce qui me travaille,
C’est le doute que j’ai qu’un malheur ne m’assaille
Qui me sépare d’elle, et me fasse lâcher
Un bien que j’ai si cher.

Il n’est rien ici-bas d’éternelle durée ;
Une chose qui plaît n’est jamais assurée :
L’épine suit la rose, et ceux qui sont contents
Ne le sont pas longtemps.

Et puis qui ne sait point que la mer amoureuse
En sa bonace même est souvent dangereuse,
Et qu’on y voit toujours quelques nouveaux rochers,
Inconnus aux nochers ?

Déjà de toutes parts tout le monde m’éclaire ;
Et bientôt les jaloux, ennuyés de se taire,
Si les vœux que je fais n’en détournent l’assaut,
Vont médire tout haut.

Peuple, qui me veut mal, et m’impute à vice
D’avoir été payé d’un fidèle service,
Où trouves-tu qu’il faille avoir semé son bien,
Et ne recueillir rien ?

Voudrais-tu que ma dame, étant si bien servie,
Refusât le plaisir où l’âge la convie,
Et qu’elle eût des rigueurs à qui mon amitié
Ne sût faire pitié ?

Ces vieux contes d’honneur, invisibles chimères,
Qui naissent aux cerveaux des maris et des mères,
Étaient-ce impressions qui pussent aveugler
Un jugement si clair ?

Non, non, elle a bien fait de m’être favorable,
Voyant mon feu si grand et ma foi si durable ;
Et j’ai bien fait aussi d’asservir ma raison
En si belle prison.

C’est peu d’expérience à conduire sa vie,
De mesurer son aise au compas de l’envie,
Et perdre ce que l’âge a de fleur et de fruit,
Pour éviter un bruit.

De moi que tout le monde à me nuire s’apprête,
Le ciel à tous ses traits fasse un but de ma tête ;
Je me suis résolu d’attendre le trépas,
Et ne la quitter pas.

Plus j’y vois de hasard, plus j’y trouve d’amorce :
Où le danger est grand, c’est là que je m’efforce ;
En un sujet aisé moins de peine apportant
Je ne brûle pas tant.

Un courage élevé toute peine surmonte ;
Les timides conseils n’ont rien que de la honte ;
Et le front d’un guerrier aux combats étonné,
Jamais n’est couronné.

Soit la fin de mes jours contrainte ou naturelle,
S’il plaît à mes destins que je meurs pour elle,
Amour en soit loué ! je ne veux un tombeau
Plus heureux ni plus beau.

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François de Malherbe Apprenti Poète

Par François de Malherbe

François de Malherbe est un poète français, né à Caen vers 1555 et mort à Paris le 16 octobre 1628. Il est le fils de François, écuyer, seigneur de Digny, conseiller au bailliage et présidial de Caen, et de Louise Le Vallois.

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