Le laurier du pays natal

Ô Provence natale, et toi, Toulon, ma ville,
Interrogeons-les tous, de Ronsard à Banville :
« Poètes, qu’êtes-vous ? » et tous vont s’écrier :
« Des chercheurs qui vivons pour l’amour du laurier,
Des marcheurs éternels, voilà ce que nous sommes,
Et partout, dans les bois, sur les monts, chez les hommes,
Nous allons poursuivant l’idéal rameau d’or ;
Quand nous l’avons conquis nous le cherchons encore,
Car dans la gloire, grand laurier toujours en sève,
Où l’on cueille une branche un plus beau jet s’élève,
Et le désir revient aussitôt dans nos cœurs
Du laurier d’or, souci renaissant des vainqueurs. »

Or, je fuyais Paris ; j’étais aux bords du Rhône
Qui, roulant des flocons d’écume en son eau jaune,
Chante et devient joyeux de l’azur provençal.
« Salut, disais-je, ô sol labouré du mistral,
Arbres, que du soleil en poussière enveloppe ;
Salut, fleuve, le plus terrible de l’Europe,
Qui sais trouver ici des murmures d’amour.
Ô mon pays, voici ton enfant de retour.
Je viens de me mêler aux chercheurs de chimère.
Mon peu de gloire était tellement éphémère
Que déjà des amis nouveaux que j’ai là-bas
De mes vers qu’ils aimaient ne se souviennent pas.
Accueille-moi d’un beau sourire, ô terre aimée ;
Je veux oublier tout, même la renommée,
Et n’aimant plus que toi je veux, pour m’accueillir,
Entendre tes joyeux tambourins tressaillir. »

A ces mots, une voix lointaine encore s’avance,
Fraîche, jeune, chantant : « Beau soleil de Provence. »
Et bientôt, un bouquet sauvage dans sa main,
Une fille aux grands yeux passe sur le chemin :
La paysanne vient de la forêt prochaine ;
Ses durs cheveux sont noirs comme un charbon de chêne ;
Une tresse au hasard déroulée et qui pend,
Sur son sein de charmeuse a l’air d’un noir serpent ;
Elle va, les pieds nus, tranquille et solitaire.
Brune (un autre l’a dit) comme la bonne terre,
Elle va ; ses grands yeux où rêve un amour pur
Comme ceux de Pallas Athénè sont d’azur,
— Et comme aussi les flots où se baigne l’Attique ;
Moi, j’admire étonné cette figure antique,
Car noble est sa démarche,— et, souple au gré des vents,
Sa robe sur son corps se moule en plis mouvants.

Une enfant d’Arzano te sembla la Bretagne,
Ô Brizeux ! Celle-ci venant de la montagne
Cueillir son gros bouquet de thym, de genêt d’or,
D’olivier pâle et que sa fleur pâlit encore,
De plantes aux parfums ardents qui font qu’on aime,
Celle-ci me sembla la Provence elle-même.
Bientôt elle passait près de moi, détachant
De son bouquet, sans même interrompre son chant,
Un brin de laurier vert, et d’un geste superbe
Elle me le lançait devant mes pas dans l’herbe ;
Puis, avant d’être au loin, se tournant à demi,
Elle me saluait d’un beau regard ami…

Ô Provence, c’est donc ainsi que tu m’accueilles !
Va, ton brin de laurier vivace aux belles feuilles
Avec un long orgueil je le conserverai ;
Il me restera cher ; il m’est deux fois sacré,
Car il est glorieux, car ton soleil le baise,
Contrée au ciel d’azur, belle fille française !
Car il croît près des flots parmi les myrtes verts,
Sur les coteaux dorés que je chante en mes vers,
Où me sourit encore mon enfance première,
Où mon aïeul mourant regretta la lumière,
Où, mes jours accomplis, toujours vert, toujours beau,
En plein sol, il pourra grandir sur mon tombeau.

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