Le dernier drapeau blanc

Combien aije de fois, le front mélancolique,
Baisé pieusement ta touchante relique,
Ô Montcalm ! ce drapeau témoin de tant d’efforts,
Ce drapeau glorieux que chanta Crémazie !,
Drapeau qui n’a jamais connu d’apostasie,
Et que la France, un jour, oublia sur nos bords !

Devant ces plis sacrés troués par les tempêtes
Qui tant de fois jadis ont tonné sur nos têtes,
Combien de fois, Montcalm, en rêvant du passé,
N’aije pas évoqué ta sereine figure,
Grande et majestueuse ainsi que l’envergure
De l’aigle qu’un éclat de foudre a terrassé !

Je revoyais alors cette époque tragique,
Où, malgré ton courage et la force énergique
D’un peuple dont on sait l’héroïsme viril,
Se déroula la sombre et cruelle épopée
Qui devait d’un seul coup, en brisant ton épée,
Te donner le martyre et nous coûter l’exil.

Je sentais frissonner cette page émouvante
Où l’on vit, l’arme au bras, calme, sans épouvante,
Par de vils brocanteurs vendu comme un troupeau,
Raillé des courtisans, trahi par des infâmes,
Un peuple tout entier, vieillards, enfants et femmes,
Lutter à qui mourra pour l’honneur du drapeau !

Qu’ils furent longs, ces jours de deuil et de souffrance !…
Nous t’avons pardonné ton abandon, ô France !
Mais s’il nous vient encor parfois quelques rancoeurs.
C’est que, voistu, toujours, blessure héréditaire,
Tant que le sang gaulois battra dans notre artère,
Ces vieux souvenirslà saigneront dans nos coeurs !

C’est que, toujours, voistu, quand on songe à ces choses,
A ces jours où, martyrs de tant de saintes causes,
Nos pères, secouant ce sublime haillon,
Si dénués de tout qu’on a peine à le croire,
Pour sauver leur patrie et défendre ta gloire,
Allaient, un contre cinq, illustrer Carillon ;

Quand on songe à ces temps de fièvres haletantes,
Où, toujours rebutés dans leurs vaines attentes,
Nos généraux, devant cet insolent dédain,
Etaient forcés, après vingt victoires stériles,
De marcher à l’assaut et de prendre des villes
Pour donner de la poudre à nos soldats sans pain ;

Oui, France, quand on rêve à tout ce sombre drame,
On ne peut s’empêcher d’en suivre un peu la trame,
Et de voir, à Versaille, un BienAimé, diton,
Tandis que nos héros au loin criaient famine,
Sous les yeux d’une cour que le vice effémine,
Couvrir de diamants des Phrynés de haut ton !

Ô drapeau ! vieille épave échappée au naufrage !
Toi qui vis cette gloire et qui vis cet outrage,
Symbole d’héroïsme et témoin accablant,
Dans tes plis qui flottaient en ces grands jours d’alarmes,
Au sang de nos aïeux nous mêlerons nos larmes…
Mais reste pour jamais le dernier drapeau blanc !

La Légende d’un peuple

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