Bûche

A quoi penses-tu, pauvre bûche?

Dis-je à la bûche dans mon feu,

Qu’un blanc vêtement de peluche

Environnait, comme par jeu,

Pâlie et rouge tour à tour,

Comme une fille en mal d’amour.
La bûche répondit: Je pense,

Avec un plaisir infernal,

Que la plus douce récompense

Est mon habit de cardinal,

Dont l’adorable vermillon

Brille comme un rouge paillon.
Le froid noir, c’est moi qui le brave,

Car seule, en ce moment, j’ai chaud.

Et folle, ayant quitté la cave

Du charbonnier, sombre cachot,

Je me chauffe dans un brasier

Aussi vermeil que le rosier.
Chacun s’affuble de mitaines.

En proie à l’Hiver, ce bourreau,

Blanches, les muettes fontaines,

Oubliant de verser leur eau,

Avec un faste oriental

Ont de grands plumets de cristal.
Ne pouvant porter de voilettes,

Les messieurs tristes, dont les nez

Ressemblent à des violettes,

Regrettent parfois d’être nés

Ailleurs qu’au pays où Brazza

Dans l’air enflammé s’embrasa.
Quant aux femmes, trésor des hommes,

Ces languissantes Éloas

Obtiennent, pour de fortes sommes,

Des écharpes et des boas

Comme en a pu voir Paul de Kock,

Faits avec des plumes de coq.
Moi que, seule, contre la bise

Défend le calorique sain,

Je reste, pour qu’on me courtise,

Rose, comme le bout du sein

Que, parmi des touffes de lys,

Baisait le chasseur Adonis.
Je règne sur mon lit de bronze,

Princesse qu’il faut envier,

En mil huit cent quatre-vingt-onze

Et dans cet horrible janvier,

Car je sens dans ma braise en fleur

Deux mille degrés de chaleur.
Tout en admirant le prodige,

Après ce discours si complet,

Voilà qui va des mieux, lui dis-je,

Et ton éloquence me plaît.

Ta douce fierté me surprit,

Mais, bûche, as-tu beaucoup d’esprit?
C’est là que je flaire une embûche.

Fût-ce un auteur du plus grand vol,

Un homme qu’on appelle Bûche,

Est rarement un Rivarol,

Et sans doute il semblerait fort

De le confondre avec Chamfort.
C’est bon, dit la bûche hautaine,

Qui parlait selon son humeur,

Comme parlent chez La Fontaine

Les objets quelconques, — rimeur

Glorieux du vin que tu bois,

Je le sais bien, je suis en bois.
Mais que de gens font des tirages

De leurs portraits coloriés

Et, pour se garer des orages,

Mettent des chapeaux de lauriers

Sur leurs têtes pâles d’émoi,

Qui sont aussi bûches que moi!
20 janvier 1891.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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Mon âme

Un grand voile obscurci parmi l’air s’étendait