La Source

À Ingres
Jeune, oh ! si jeune avec sa blancheur enfantine,

Debout contre le roc, la Naïade argentine

Rit. Elle est nue. Encore au bleu matin des jours,

La céleste ignorance éclaire les contours

De son corps où circule un sang fait d’ambroisie.

Svelte et suave, tel près d’un fleuve d’Asie

Naît un lys ; le désert voit tout ce corps lacté,

Sans tache et déjà fier de sa virginité,

Car sur le sein de neige à peine éclos se pose

Le reflet indécis de l’églantine rose.

Ô corps de vierge enfant ! temple idéal, dont rien

Ne trouble en ses accords le rhythme aérien !

L’atmosphère s’éclaire autour du jeune torse

De la Naïade, et, comme un Dieu sous une écorce,

Tandis que sa poitrine et son ventre poli

Reflètent un rayon par la vie embelli,

Une âme se trahit sous cette chair divine.

La prunelle, où l’abîme étoilé se devine,

Prend des lueurs de ciel et de myosotis ;

Ses cheveux vaporeux que baisera Thétis

Étonnent le zéphyr ailé par leur finesse ;

Elle est rêve, candeur, innocence, jeunesse ;

Sa bouche, fleur encor, laisse voir en s’ouvrant

Des perles ; son oreille a l’éclat transparent

Et les tendres couleurs des coquilles marines,

Et la lumière teint de rose ses narines.

La nature s’éprend de ce matin vermeil

De la vie, aux clartés d’aurore. Le soleil

Du printemps, qui de loin dans sa grotte l’admire,

Met un éclair de nacre en son vague sourire.

La vierge, la Naïade argentine est debout

Contre le roc, pensive, amoureuse de tout,

Et son bras droit soulève au-dessus de sa tête

L’urne d’argile, chère au luth d’or du poète,

Qui dans ses vers, où gronde un bruit mélodieux,

Décrit fidèlement les attributs des Dieux.

Son corps éthéréen se déroule avec grâce

Courbé sur une hanche, et brille dans l’espace,

Léger comme un oiseau qui va prendre son vol.

Seul, un de ses pieds blancs pose en plein sur le sol.

Le vase dont ses doigts ont dû pétrir l’ébauche

S’appuie à son épaule, ô charme ! et sa main gauche

Supporte le goulot, d’où tombe un flot d’argent.

Les perles en fusée et le cristal changeant

Ruissellent, et déjà leur écume s’efface

Dans l’ombre du bassin luisant, dont la surface

Répète dans son clair miroir de flots tremblants

Les jambes de l’enfant naïve et ses pieds blancs.

Oh ! parmi les lotos ouverts et les narcisses,

Où vont tes pieds glacés, Source aux fraîches délices ?

Où tes flots, à présent dans la mousse tapis,

Baigneront-ils au loin des champs mouvants d’épis ?

Où verras-tu frémir aussi dans tes opales

Le pin, et l’olivier que tordent les rafales ?

T’enfuis-tu dans la nuit vers le vallon désert,

Vers le sentier rougeâtre où croît l’euphorbe vert,

Où l’on voit se flétrir sous les pieds des bacchantes

La violette aux yeux mourants et les acanthes ?

Où vas-tu, bleue et froide en tes sombres chemins,

Clarté ? Chercheras-tu les buissons de jasmins

Ou la cité bruyante et pleine d’allégresse

Que parent les héros issus d’une Déesse,

Les tueurs de lions, qui sur leur large flanc

Tourmentent de la main des glaives teints de sang ?

Ô Source, dans les champs de la fertile Épire,

L’Achéron se courrouce et l’Aréthon soupire ;

Le Pénée, aux baisers des Nymphes échappé,

Court, ivre de désir, vers la molle Tempé ;

L’Étolie a des bois odorants où circule

L’Achéloos meurtri par le divin Hercule ;

Près du doux Ilissos qui reflète le ciel,

Sur les coteaux penchants l’abeille fait son miel,

Et le Strymon, qui pousse une plainte étouffée,

Roule avec des sanglots un dernier chant d’Orphée.

Tous ces fleuves sont beaux, et dans leur libre essor

Apportent à la mer des ruisseaux brodés d’or :

Un chœur dansant bondit sur les bords du Céphise ;

L’harmonieux Pénée a vu Daphné surprise

Se changer en laurier verdoyant sur ses bords ;

Le Sperchios entend mourir le bruit des cors ;

Le long de l’Axios passent des hécatombes ;

La douce Thyamis a des vols de colombes

Qui vont en secouant leurs ailes vers les cieux.

Tous ces fleuves d’azur au cours délicieux

Ont de leurs noms vivants charmé la grande lyre,

Ô Source enfant, mais nul d’entre eux n’a ton sourire !

Oh ! je te reconnais, Source enfant, tu seras

Le limpide Eurotas, où, levant leurs beaux bras,

Les guerrières de Sparte aux âmes ingénues

Dans la nappe d’argent se baignent toutes nues ;

L’Eurotas, tout glacé de suaves pâleurs,

Où croît le laurier-rose au front chargé de fleurs !

C’est dans ton flot riant, à l’ombre de la vigne,

Que Léda frémira sous le baiser du cygne,

Pâle d’horreur, serrant les ailes de l’oiseau

Sur sa poitrine folle où l’ombre d’un roseau

Se joue, et sur le lit de fleurs que l’onde arrose

Mordant un col de neige avec sa lèvre rose !

Le fleuve ému la berce en un riant bassin,

Et des soupirs brûlants s’échappent de son sein

Mollement caressé par les eaux fugitives.

Ah ! toujours l’Eurotas gardera sur ses rives,

Que les enchantements choisissent pour séjour,

L’écho tumultueux de ses grands cris d’amour,

Ô Source ! et c’est aussi près de ton onde claire

Qu’Hélène aux cheveux d’or, tremblante de colère,

Passera, saluant d’un rire méprisant

Le palais délaissé de Tyndare, et baisant

De sa lèvre enfantine encore inapaisée

Les noirs cheveux touffus de son amant Thésée.

La petite Naïade est pensive. Elle rit.

Devant ses pieds d’ivoire un narcisse fleurit.

Oiseaux, ne chantez pas ; taisez-vous, brises folles,

Car elle est votre joie, ailes, brises, corolles,

Verdures ! Le désert, épris de ses yeux bleus,

Écoute murmurer dans le roc sourcilleux

Son flot que frange à peine une légère écume.

L’aigle laisse tomber à ses pieds une plume

En ouvrant dans l’éther son vol démesuré ;

L’alouette vient boire au bassin azuré

Dont son aile timide agite la surface.

Quand la pourpre céleste à l’horizon s’efface,

Les étoiles des nuits silencieusement

Admirent dans le ciel son visage charmant

Qui rêve, et la montagne auguste est son aïeule.

Oh ! ne la troublez pas ! La solitude seule

Et le silence ami par son souffle adouci

Ont le droit de savoir pourquoi sourit ainsi

Blanche, oh ! si blanche, avec ses rougeurs d’églantine,

Debout contre le roc, la Naïade argentine !
Avril 1861.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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