Les conditions de l’etre

Alain Jouffroy
par Alain Jouffroy
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Je m’ancre dans l’ocre de la terre

Et défends le sol sensible de nos soifs.

Mes centres se rodent,

Tremblent dans l’être de mon sang.

Dans le ventre de mes sentiments,

S’échangent les songes des éléments.

Plongé, noyau étanche, dans mon corps,

Je me hisse, silencieux, à la surface

De ma tête.
Trente couronnes d’uranium

Tournent dans mon cirque.
De doute

Et de cris, les tempes, paratonnerres

De vérités, vibrent — se fêlent

Et, vrillé dans le cœur,

Le bec de l’aigle bâtard

Déployé, herculéen, dans mes nerfs,

S’ouvre et déchire

L’humaine tendresse où je m’acharne.

Les tables multipliées dans mes mains,

Tous les tiroirs de ma mémoire tombés à terre,

À tombeau ouvert dans ma tête

Je m’élève et me précipite

Dans l’eau aveuglante oh j’ouvre
Us yeux.

Je me monte et me greffe et me démonte,

Je sors de moi l’étincelante santé du ciel.

Tout tendu, tout troublé, tout travaillé

Que je suis par la masse,

Je m’étire et m’atteins

Au centre énucléé du noir atome solaire


Celui qui fait irruption

Dans la pupille indicible d’un passant.

La morne voiture de la mort s’évite

D’un pied léger.

Mais, corporellement,

L’atroce existence du tigre fait craquer

L’ossature de l’homme libéré.

Ses mains taillées dans l’étoffe de la braise

Illuminent, tremblotantes, l’air vacillant

Du soir européen.

Ses cellules chavirent.

Toute l’éternelle viande tourne

Et traverse l’étrange étang mortel.

Attroupés nez à nez contre la vitre

Des moteurs, énormes mouches de cratères,

Les témoins ligotent les créateurs.

L’atmostphère chargée de pus

Se déplace comme un rhinocéros,

Fonce dans l’ornière innocente du moi.

Coupantes, crachotantes, douloureuses,

Les herses de la conscience passent,

Machines à dévorer l’être inviolé

À l’horizon carnassier de la réalité.

Léger et plein comme une hélice,
Mon corps se chauffe
Et tourne dans son limon.

Marteau, il forge son poids,
Enclume de peau, il cède à sa pression.
Devant l’homme, il change ses calibres,
Ouvre ses objectifs,
Et bleuté par l’aurore aiguë, la peur,
Brise la visière de cristal de sa cabine,
Bascule un instant hors de l’être
Et plaque ses mains sur le moule
Vidé de son cœur chauffé à blanc.

Hostile aux troupes asexuées

Qui ravagent son chantier

Il déclenche la guerre dans ses canines

Et soulève le soleil hurleur

De l’enfant qui boude en lui la terre.

Mon corps a fracassé le bloc immobile

Dont il a surgi

Et choisi

Au-delà des petites flaques contemplatives,

Le risque inextricable

D’être nu au centre des sociétés.

Armé — sans couteaux véhéments

Cruel — il nuit à la paix des acclamés

Il se crée un rayon conductible

Qui traverse les yeux, leur lagune et leur temps

Et blotti comme un ours

Dans sa force, il s’agrippe

Et se noue au torse de sa vérité.

Pris au lasso de la conscience,

Je reste éveillé — dans l’attente unanime

Des travailleurs du pal.

Dans ma main, la corde humide de terre

Oscille et donne le temps au ciel démesuré.

Il est midi.
Je fais mien l’effort obstiné

Du soleil dans la plaie qu’il ouvre

Et ferme chaque nuit.
Même si, affamé,

J’attends mon pain,

Les étoiles de la table miroitante

Entraînent les tourments vers la mer.

Mon entrée répétée dans l’être est mon métier

De tous côtés je dois le pénétrer

Son oubli n’est pas la rivière

N’est pas la chute, n’est pas l’estuaire

Son oubli est un désert — et je suis né!

Alain Jouffroy

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