Les voyageurs

Et par le traître écho des horizons plongeurs,
Et par l’antique appel des sybilles lointaines,
Et par les audelà mystérieux des plaines,
Un soir, se sont sentis hélés, les voyageurs.

Partis !
Les quais étaient électrisés de lunes,
Et le navire, avec ses mâts pavoisés d’or
Et ses mousses d’ébène ornait gaîment son bord ;
Et les vagues baisaient les ponts et les lagunes.

Ce fut calme voyage, à la clarté des nuits :
Et les regards lactés des pensives étoiles
Làhaut ! et les brises du Sud bombant les voiles
Et poussant vers la terre et vers les fleurs ! Depuis

Des tours, immensément faites avec des pierres,
Levant de hauts bras noirs sur des villes de feux ;
Et sous les toits plombés et dans les murs nitreux,
Ouverts, de grands yeux d’or en de rouges paupières ;

Et des plaines, où se battent les roux soleils
Avec les vents, les soirs, la foudre et le tonnerre
Et des gorges et des volcans et des suaires,
Infiniment, au loin, sur des sables vermeils ;

Et des temples d’airain écussonnés de glaives,
Et des assomptions de symboles chrétiens,
Et de vieux empereurs en de roides maintiens
Sur leurs trônes de fer, assis comme des rêves ;

Et des îles, ainsi que de grands piédestaux,
Parmi des lacs d’argent, d’onyx et de turquoises,
Làbas et des frissons marins et des angoisses
Et, tout à coup, la mer, comme un choc de marteaux.

Et des peuples lassés de leur fierté première,
Et des peuples debout vers leurs prochains réveils,
Et des ports et des ports et des phares pareils
A quelque front levé de force et de lumière ;

Jusqu’à ce soir certain, où seul, au bout du pont,
Le souvenir revient des lointaines reliques :
Le clos natal et les parents mélancoliques
Et l’horloge sonnant vers ceux qui reviendront.

Et maintenant ils sont les revenus du monde
Et les sortis de l’Océan mais plus jamais
Pour eux, les doux bonheurs sereins des satisfaits
Ni la vie endormie en une âme profonde.

Car les soirs leur seront de tourmenteurs aimants,
Les soirs et les soleils ouverts, comme des portes,
Sur leurs rêves défunts et leurs visions mortes
Et leur amours nimbés par d’autres firmaments.

Les soirs

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Émile Verhaeren Apprenti Poète

Par Émile Verhaeren

Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d'Anvers, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d'expression française.

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Ô, entre tes beautez, que ta constance est belle

Ne regreter point les mors