Que d’épines, Amour, accompagnent tes roses

François de Malherbe
par François de Malherbe
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Alcandre plaint la captivité de sa maîtresse.

1609.

Que d’épines, Amour, accompagnent tes roses !
Que d’une aveugle erreur tu laisses toutes choses
À la merci du sort !
Qu’en tes prospérités à bon droit on soupire !
Et qu’il est mal aisé de vivre en ton empire,
Sans désirer la mort !

Je sers, je le confesse, une jeune merveille,
En rares qualités à nulle autre pareille,
Seule semblable à soi ;
Et, sans faire le vain, mon aventure est telle,
Que de la même ardeur que je brûle pour elle
Elle brûle pour moi.

Mais parmi tout cette heure, ô dure destinée,
Que de tragiques soins, comme oiseaux de Phinée,
Sens-je me dévorer !
Et ce que je supporte avec patience,
Ai-je quelque ennemi, s’il n’est sans conscience,
Qui le vit sans pleurer ?

La mer a moins de vents qui ses vagues irritent,
Que je n’ai de pensers qui tous me sollicitent
D’un funeste dessein ;
Je ne trouve la paix qu’à me faire la guerre ;
Et si l’enfer est fable au centre de la terre,
Il est vrai dans mon sein.

Depuis que le soleil est dessus l’hémisphère,
Qu’il monte ou qu’il descende, il ne me voit rien faire
Que plaindre et soupirer :
Des autres actions j’ai perdu la coutume ;
Et ce qui s’offre à moi, s’il n’a de l’amertume,
Je ne puis l’endurer.

Comme la nuit arrive, et que par le silence
Qui fait des bruits du jour cesser la violence
L’esprit est relâché,
Je vois de tous côtés sur la terre et sur l’onde
Les pavots qu’elle sème assoupir tout le monde,
Et n’en suis point touché.

S’il m’advient quelquefois de clore les paupières,
Aussitôt ma douleur en nouvelles manières
Fait de nouveaux efforts ;
Et de quelque souci qu’en veillant je me ronge,
Il ne me trouble point comme le meilleur songe
Que je fais quand je dors.

Tantôt cette beauté, dont ma flamme est le crime,
M’apparaît à l’autel, où, comme une victime,
On la veut égorger ;
Tantôt je me la vois d’un pirate ravie ;
Et tantôt la fortune abandonne sa vie
À quelque autre danger.

En ces extrémités la pauvrette s’écrie :
Alcandre, mon Alcandre, ôte-moi, je te prie,
Du malheur où je suis !
La fureur me saisit, je mets la main aux armes :
Mais son destin m’arrête ; et lui donner des larmes,
C’est tout ce que je puis.

Voilà comme je vis, voilà ce que j’endure
Pour une affection que je veux qui me dure
Au-delà du trépas.
Tout ce qui me la blâme offense mon oreille ;
Et qui veut m’affliger, il faut qu’il me conseille
De ne m’affliger pas.

On me dit qu’à la fin toute chose se change,
Et qu’avec le temps les beaux yeux de mon ange
Reviendront m’éclairer.
Mais voyant tous les jours ses chaînes se restreindre,
Désolé que je suis, que ne dois-je point craindre ?
Ou que puis-je espérer ?

Non, non, je veux mourir ; la raison m’y convie ;
Aussi bien le sujet qui m’en donne l’envie
Ne peut être plus beau ;
Et le sort, qui détruit tout ce que je consulte,
Me fait voir assez clair que jamais ce tumulte
N’aura paix qu’au tombeau.

Ainsi le grand Alcandre aux campagnes de Seine
Faisait, loin de témoins, le récit de sa peine,
Et se fondait en pleurs.
Le fleuve en fut ému, ses Nymphes se cachèrent,
Et l’herbe du rivage où ses larmes touchèrent
Perdit toutes ses fleurs.

François de Malherbe

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