L’odeur du fumier

C’est eun’ volé’ d’môssieux d’Paris

Et d’ péquit’s dam’s en grand’s touélettes

Qui me r’gard’nt curer l’écurie

Et les « téts » ousque gît’nt les bêtes :

Hein ?… de quoué qu’c’est, les villotiers,

Vous faisez pouah ! en r’grichant l’nez

Au-d’ssus d’la litière embernée?…

Vous trouvez qu’i’ pu’, mon feumier?
Ah ! bon guieu, oui, l’ sacré cochon !

J’en prends pus avec mes narines

Qu’avec les deux dents d’ mon fourchon

Par oùsque l’ jus i’ dégouline,

– I’ pu’ franch’ment, les villotiers !

Mais vous comprendrez ben eun’ chouse,

C’est qu’ i’ peut pas senti’ la rouse ! …

C’est du feumier… i’ sent l’ feumier !
Pourtant, j’en laiss’ pas pard’e un brin,

J’ râtle l’ pus p’tit fêtu qu’enrrouse

La pus michant’ goutt’ de purin,

Et j’ râcle à net la moind’er bouse !

– Ah ! dam itou, les villotiers,

Malgré qu’on seye en pein’ d’avouer

Un « bien » pas pus grand qu’un mouchouer,

On n’en a jamais d’ trop d’ feumier !
C’est sous sa chaleur que l’ blé lève

En hivar, dans les tarr’s gelives ;

I’ dounn’ de la force à la sève

En avri’, quand la pousse est vive !

Et quand ej’ fauch’ – les villotiers !

Au mois d’Août les épis pleins

Qui tout’ l’anné’ m’ dounn’ront du pain,

Je n’ trouv’ pas qu’i’ pu’, mon feumier !
C’est d’ l’ordur’ que tout vient à nait’e :

Bieauté des chous’s, bounheur du monde,

Ainsi qu’ s’étal’ su’ l’ fient d’mes bêtes

La glorieus’té d’la mouésson blonde…

Et vous, tenez, grous villotiers

Qu’êt’s pus rich’s que tout la coummeune,

Pour fair’ veni’ pareill’ forteune

En a-t-y fallu du feumier ! !!
Dam’ oui, l’ feumier des capitales

Est ben pus gras que c’ti des champs :

Ramas de honte et de scandales…

Y a d’la boue et, des foués, du sang !…

– Ah ! disez donc, les villotiers,

Avec tous vos micmacs infâmes

Ousque tremp’nt jusqu’aux culs d’vos femmes…

I’ sent p’tét’ bon, vous, vout’ feumier?…
Aussi, quand ej’ songe à tout ça

En décrottant l’ dedans des « téts »

J’ trouv’ que la baugé’ des verrats

A ‘cor comme un goût d’ properté !

Et, croyez-moué, les villotiers,

C’est pas la pein’ de fèr’ des magnes

D’vant les tas d’feumier d’ la campagne :

I’ pu’ moins que l’vout’… nout’ feumier !
Gaston Couté

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Gaston Couté Apprenti Poète

Par Gaston Couté

Gaston Couté, né à Beaugency dans le Loiret le 23 septembre 1880, mort à Paris-10e le 28 juin 1911, est un poète libertaire et chansonnier français, connu pour ses textes antimilitaristes, sociaux et anarchistes utilisant parfois le patois beauceron ou l'argot.

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