Maintenant que du Capricorne
Le temps mélancolique et morne
Tient au feu le monde assiégé,
Noyons notre ennui dans le verre,
Sans nous tourmenter de la guerre
Du tiers état et du clergé.

Je sais, Ménard, que les merveilles
Qui naissent de tes longues veilles
Vivront autant que l’univers ;
Mais que te sertil que ta gloire
Se lise au temple de Mémoire
Quand tu seras mangé des vers ?

Quitte cette inutile peine,
Buvons plutôt à longue haleine
De ce nectar délicieux,
Qui pour l’excellence précède
Celui même que Ganymède
Verse dans la coupe des dieux.

C’est lui qui fait que les années
Nous durent moins que des journées,
C’est lui qui nous fait rajeunir
Et qui bannit de nos pensées
Le regret des choses passées
Et la crainte de l’avenir.

Buvons, Ménard, à pleine tasse,
L’âge insensiblement se passe
Et nous mène à nos derniers jours,
L’on a beau faire des prières,
Les ans non plus que les rivières
Jamais ne rebroussent leurs cours.

Le printemps vêtu de verdure
Chassera bientôt la froidure ;
La mer a son flux et reflux ;
Mais depuis que notre jeunesse
Quitte la place à la vieillesse,
Le temps ne la ramène plus.

Les lois de la mort sont fatales
Aussi bien aux maisons royales
Qu’aux taudis couverts de roseaux,
Tous nos jours sont sujets aux Parques,
Ceux des bergers et des monarques
Sont coupés des mêmes ciseaux.

Leurs rigueurs, par qui tout s’efface,
Ravissent en si peu d’espace
Ce qu’on a de mieux établi,
Et bientôt nous mèneront boire
Audelà de la rive noire
Dans les eaux du fleuve d’oubli.