Aujourd’hui, hier, demain

I. AUJOURD’HUI
En larges nappes d’or la lumière s’épanche :

Le soir viendra bientôt, six heures ont sonné.

L’ouvrier se revêt de sa chemise blanche

Et lustre de la main son chapeau fané.
Enfin, voilà le jour de fête, le dimanche !

Il peut sortir : il est haletant, surmené.

Il traîne un chariot faut d’une vieille planche,

Où chante, rit et dort son chétif dernier-né.
Les enfants vont devant et la mère pâlie,

Triste, derrière eux tous, seule, vient quelquefois.

Quand cet homme est debout tout son corps tremble et plie.
Quand il s’assied, il presse entre ses maigres doigts

Son front fier, écrasé par la misère humaine…

C’est ainsi qu’il respire une heure par semaine.
II. HIER
Rose comme une fleur de pommier au printemps,

Sous son petit bonnet de batiste empesée,

Naïve, confiante et de tout amusée,

Les yeux toujours emplis de beaux regards contents,
La lèvre toujours prête aux rires éclatants

Qui s’envolent au ciel ainsi qu’une fusée,

L’apprenti à son tour passe sous ma croisée

Au bras de son promis, beau garçon de vingt ans !
Dans sa petite main, une main qui travaille,

Elle tient un bouquet noué d’un brin de paille,

Qu’ils sont allés cueillir dans les champs reverdis.
Tout poudreux, tout hâlés, regagnant leurs taudis,

Ils se sentent légers comme les fleurs qu’ils sèment

Au vent sur leur passage : ils sont heureux, ils s’aiment !
III. DEMAIN
Au dehors un temps gris de décembre. Au dedans

Le poêle froid, le lit vendu, le métier vide.

Assis, les bras croisés, calme, muet, livide,

L’ouvrier regardait, sa pipe éteinte aux dents.
Debout, sombre, les poings serrés, les yeux ardents,

Sa femme à son côté pleurait ; et chaque ride,

Comme un sillon creusé dans une terre aride,

Buvait sans les tarir ces flots trop abondants.
Et quand nous vîmes là cet homme et cette femme,

Et cette chambre nue et ce foyer sans flamme,

Nous eûmes le cœur pris d’une immense pitié.
Elle, devant nos mains pleines, baissa la tête

En rougissant ; mais lui, n’entendant qu’à moitié :

« Femme, as-tu pas encor dix sous ? donne à la quête ! »
18…

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Louisa Siefert Apprenti Poète

Par Louisa Siefert

Louisa Siefert, née à Lyon le 1er avril 1845 et morte à Pau le 21 octobre 1877, est une poétesse française.
Louisa Siefert (1845 - 1877) était une poétesse française qui a laissé une poésie empreinte de douleur mais soutenue d’un vif spiritualisme protestant. Son premier recueil de poèmes, Rayons perdus, paru en 1868, connaît un grand succès. En 1870, Rimbaud s'en procure la quatrième édition et en parle ainsi dans une lettre à Georges Izambard : « J'ai là une pièce très émue et fort belle, Marguerite […]. C'est aussi beau que les plaintes d'Antigone dans Sophocle.»

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Langage cuit – I