Mi-route

Il y a un moment précis dans le temps

Où l’homme atteint le milieu exact de sa vie,

Un fragment de seconde,

Une fugitive parcelle de temps plus rapide qu’un regard,

Plus rapide que le sommet des pâmoisons amoureuses,

Plus rapide que la lumière.

Et l’homme est sensible à ce moment.
De longues avenues entre des frondaisons

S’allongent vers la tour où sommeille une dame

Dont la beauté résiste aux baisers, aux saisons,

Comme une étoile au vent, comme un rocher aux lames.
Un bateau frémissant s’enfonce et gueule.

Au sommet d’un arbre claque un drapeau.

Une femme bien peignée, mais dont les bas tombent sur les souliers

Apparaît au coin d’une rue,

Exaltée, frémissante,

Protégeant de sa main une lampe surannée qui fume.
Et encore un débardeur ivre chante au coin d’un pont,

Et encore une amante mord les lèvres de son amant,

Et encore un pétale de rose tombe sur un lit vide,

Et encore trois pendules sonnent la même heure

À quelques minutes d’intervalle,

Et encore un homme qui passe dans une rue se retourne

Parce-que l’on a crié son prénom,

Mais ce n’est pas lui que cette femme appelle,

Et encore un ministre en grande tenue,

Désagréablement gêné par le pan de sa chemise coincé entre son pantalon et son caleçon,

Inaugure un orphelinat,

Et encore d’un camion lancé à toute vitesse

Dans les rues vides de la nuit

Tombe une tomate merveilleuse qui roule dans le ruisseau

Et qui sera balayée plus tard,

Et encore un incendie s’allume au sixième étage d’une maison

Qui flambe au cœur de la ville silencieuse et indifférente,

Et encore un homme entend une chanson

Oubliée depuis longtemps, et l’oubliera de nouveau,

Et encore maintes choses,

Maintes autres choses que l’homme voit à l’instant précis du milieu de sa vie,

Maintes autres choses se déroulent longuement dans le plus court des courts instants de la terre.

Il pressent le mystère de cette seconde, de ce fragment de seconde,
Mais il dit « Chassons ces idées noires »,

Et il chasse ces idées noires.

Et que pourrait-il dire,

Et que pourrait-il faire

De mieux ?

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Robert Desnos Apprenti Poète

Par Robert Desnos

Robert Desnos est un poète français, né le 4 juillet 1900 à Paris et mort du typhus le 8 juin 1945 au camp de concentration de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie à peine libéré du joug de l’Allemagne nazie.

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