Retour de la guerre

Charles Vildrac
par Charles Vildrac
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« Qu’en dis-lu, voyageur des pays

et des gares ? »

Paul Verlaine.
I
Toi qui rêvais d’accorder dans ta voix

L’allégresse d’aimer

Et ce sanglot voilé, toujours fidèle,

Appel de l’infini dans l’ombre de la joie,

Ce beau sanglot du coeur avide et débordé

Devant notre impuissance, hélas, à tout étreindre.
Toi qui aimais chanter même la chanson triste,

Mais où l’espoir sourit

Comme un éveil du vent ou l’envol d’un oiseau

Dans un feuillage inerte accablé de midi,

Toi qui voulais chanter aux hommes leur fortune

La plus certaine et la plus délaissée,

Dis, sauras-tu chanter encore ?
II
Après ce long silence, après ce dur voyage,

Quelque chose, toujours, frissonne dans ta voix

Mais ce n’est plus la joie.

Si c’est encore l’amour, c’est un amour en deuil

Et accablé d’outrages.
Des larmes sur les uns, du mépris sur les autres :

L’heure n’est pas d’entonner la louange

De ce monde aveugle et meurtri.
L’heure n’est pas non plus, après la servitude

Et dans l’étouffement,

De t’évader bien loin et seul en emportant

Une flamme sacrée.
Il faut rester ici, chanter dans cette nuit,

Chercher avec ton chant

Chercher comme toujours à quels appels

La vieille foi ouvrira des ailes nouvelles.
III
— Y a-t-il un lieu de silence

Où je puisse essayer mon chant

Sans que le submerge en moi-même

Le tumulte de ces orages,

Les cris aigus de ce prétoire

Où se proclament par cent voix

Le mensonge des criminels

La cupidité des voleurs

Et la lâcheté des esclaves ?
— Un seul accent vrai de ton coeur

En toi couvrira cent voix fausses.
Ah ! mon coeur n’est-il pas pareil

A un fruit jeté dans la mer :

Quand un batelier le recueille

Il est encore plein et doré

Mais sa chair que l’eau a forcée

N’a plus que l’âcreté du sel.
J’ai regardé bien trop de morts

Avec des yeux secs et distraits ;

J’ai connu trop de paysages,

J’ai pressé pendant ces cinq ans

Trop de mains, vu trop de visages;

Des flots ont noyé ma mémoire.
— La moisson étouffe et aveugle

L’ample grenier qui la confient

Mais d’où jaillira chaque gerbe

A son tour, avec tous ses grains.
Sur le lourd butin qui t’accable

Penche-toi ! Dans un coeur aimant

Rien n’est perduy rien ne s’efface

De ce qu’y a mis chaque jour.

Charles Vildrac

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