Habillée au goût du bonheur

Habillée au goût du bonheur

Elle traversa mes années

Sans jamais parler du bonheur.

Et le soir cheminant l’allée,

Cheminant les sentiers des lièvres,

Elle disait de petits mots

Qui s’en allaient hors de ses lèvres

Comme l’eau frisée du ruisseau

Qui coupait en deux nos journées.
Passant le pont, penchée vers l’eau,

Penchée vers l’eau que disait-elle ?

« Tous les oiseaux battent de l’aile

Quand le courant tire le ciel.

Chaque poisson est un oiseau

Tombé d’amour, tombé à l’eau

Pendant les messes de Noël. »
Habillée au goût du bonheur

Elle traversait la prairie

En berçant un bouquet de fleurs,

Un bouquet de Vierge Marie

Qui était lourd comme un enfant.

Enfant fleuri en ses bras blancs,

Petites filles endormies

Qu’elle apportait à la maison,

Amour en chapeau de prairie

Aux couleurs de chaque saison.
En traversant notre prairie

Elle disait, berçant les fleurs :

« Les moutons de la bergerie

Ont fui les armes du malheur

Et moutonnent au ciel d’orage.

Dès que s’annonce le danger

Chaque mouton devient nuage,

Nuages de moutons légers

Partis au vent, haut sur la côte,

Lorsque s’éloigne le berger

Pour la messe de Pentecôte. »
Habillée au goût du bonheur,

Elle s’en fut de mes années

Chantant les vêpres sur mon cœur.

Vêpres par l’amour encensées,

Cantique traversé d’oiseaux,

Moutons en sa tête envolée,

Poissons des cieux tombés à l’eau

Naviguaient le ruisseau des pleurs

Quand s’en allait ma bien-aimée,

Un baiser en sa main fermée,

Sans m’avoir parlé du bonheur.
Chantant vêpres à petits mots,

Elle disait, quittant ma vie :

« Les étoiles des étés chauds

Sont des demoiselles pâlies

Qui désertèrent leur pâleur.

Amantes en lueur parties,

En étoiles filant ailleurs

Dès que l’amour clôt leurs paupières

Et va surprendre les prières

Aux vêpres de la Chandeleur. »
1939

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