Dioné

Abattu par la roche énorme que sans aide,

Seul, avait soulevée en ses mains Diomède,

Énée était tombé sous le char de l’ardent

Fils de Tydée, ainsi qu’un chêne, et cependant

Que sa mère Aphrodite, au vent échevelée,

L’emportait mourant loin de la noire mêlée,

Diomède, sachant qu’elle est faible, et non pas

Intrépide à guider les hommes sur ses pas

Vers le carnage, comme Ényo destructrice

Des citadelles, dont la mort suit le caprice,

Poursuivit Aphrodite en son hardi chemin ;

Et de sa lance aiguë il lui perça la main,

D’où le sang précieux jaillit fluide et rose,

Délicieux à voir comme une fleur éclose,

Riant comme la pourpre en son éclat vermeil,

Et tout éblouissant des perles du soleil.

Car, pareils dans leur gloire à la blancheur du cygne,

Les Dieux ne boivent pas le vin noir de la vigne.

Ces rois, pétris d’azur, ne mangent pas de blé,

Et c’est pourquoi leur sang, qui n’est jamais troublé,

Court dans leurs veines, beau de sa splendeur première,

Comme un flot ruisselant d’éther et de lumière.

Aphrodite poussait des cris, comme un aiglon

Furieux, cependant que Phœbos-Apollon

Cachait Énée au sein d’un nuage de flamme,

De peur qu’un Danaen ne lui vînt ravir l’âme

En frappant de l’airain ce faiseur de travaux.

Mais dans le char brillant d’Arès, dont les chevaux

S’envolèrent au gré de sa fureur amère,

Aphrodite s’enfuit vers Dioné, sa mère ;

Iris menait le char rapide, et secouait

Les rênes, et tantôt frappait à coups de fouet

Les deux chevaux, tantôt pour presser leur allure

Leur parlait, caressant leur douce chevelure,

Employant tour à tour la colère et les jeux.

Ils arrivent enfin à l’Olympe neigeux,

Et dans le palais d’ombre où sur son trône songe

Dioné, dans la nue où sa tête se plonge.

Or, lorsque sans pâlir de l’amère douleur,

Calme, et comme une rose ouvrant sa bouche en fleur,

Aphrodite eut montré sa blanche main d’ivoire

Déchirée et meurtrie et qui devenait noire,

La Titane au grand cœur si souvent ulcéré,

Planant sinistrement d’un front démesuré

Sur les cieux dont au loin la profondeur s’azure,

Tressaillit dans ses flancs et lava la blessure.

Et, rappelant ainsi des crimes odieux,

Elle nommait tout bas les meurtriers des Dieux :

Hercule, nourrisson de la Guerre et, comme elle,

Ivre d’horreur, blessant Héra sous la mamelle,

Éphialte, en dépit du Destin souverain,

Mettant Arès lié dans un cachot d’airain,

Et l’emprisonnant, seul avec la Nuit maudite.

Puis, prenant en ses bras la céleste Aphrodite,

Sans peine elle étendit ses membres assoupis

Sur des toisons sans tache et de mœlleux tapis,

Car déjà le Sommeil, né de l’ombre éternelle,

Roulait un sable fin dans sa noire prunelle ;

Et comme Dioné, redoutable aux méchants,

Se souvenait encor des invincibles chants

Avec lesquels, avant de subir leurs désastres,

Les Titans conduisaient le blanc troupeau des Astres,

Soucieuse de voir la Déesse frémir,

Elle disait ces chants sacrés pour l’endormir,

Douce et baissant la voix bien plus qu’à l’ordinaire,

Et les mortels croyaient que c’était le tonnerre.
Jeudi, 20 août 1874.

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