Pour saluer le tiers monde

à
Léopold
Sedar
Senghor

Ah!

mon demi-sommeil d’île si trouble

sur la mer !

Et voici de tous les points

du péril l’histoire qui me fait

le signe que j’attendais,

Je vois pousser des nations.

Vertes et rouges, je vous salue,

bannières, gorges du vent ancien,

Mali,
Guinée,
Ghana

et je vous vois, hommes,

point maladroits sous ce soleil nouveau !

Ecoutez :

de mon île lointaine

de mon île veilleuse je vous dis
Hoo !

Et vos voix me répondent

et ce qu’elles disent signifie «
Il y fait clair ».
Et c’est vrai :

même à travers orage et nuit

pour nous il y fait clair.

D’ici je vois
Kiwu vers
Tanganika descendre

par l’escalier d’argent de la
Ruzizi

(c’est la grande fille à chaque pas

baignant la nuit d’un frisson de cheveux)

d’ici, je vois noués

Bénoué,
Logone et
Tchad ;

liés,
Sénégal et
Niger.

Rugir, silence et nuit rugir, d’ici j’entends

rugir le
Nyaragongo.

De la haine, oui, ou le ban ou la barre et l’arroi qui grunnit, mais d’un roide vent, nous contus, j’ai vu décroître la gueule négrière !

Je vois l’Afrique multiple et une verticale dans la tumultueuse péripétie avec ses bourrelets, ses nodules, un peu à part, mais à portée du siècle, comme un cœur de réserve.

Et je redis :
Hoo mère !

et je lève ma force

inclinant ma face.
Oh ma terre ! que je me l’émiette doucement entre pouce et index que je m’en frotte la poitrine, le bras,

le bras gauche,

que je m’en caresse le bras droit.

Hoo ma terre est bonne, ta voix aussi est bonne avec cet apaisement que donne un lever de soleil !

Terre, forge et silo.
Terre enseignant nos routes, c’est ici, qu’une vérité s’avise, taisant l’oripeau du vieil éclat cruel.

Vois: l’Afrique n’est plus au diamant du malheur

un noir cœur qui se strie ;

notre
Afrique est une main hors du ceste, c’est une main droite, la paume devant et les doigts bien serrés ;

c’est une main tuméfiée,

une-blessée-main-ouverte,

tendue,

brunes, jaunes, blanches, à toutes mains, à toutes les mains blessées du monde.

Voter pour ce poème!

Aimé Césaire Apprenti Poète

Par Aimé Césaire

Aimé Césaire, né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe et mort le 17 avril 2008 à Fort-de-France, est un écrivain et homme politique français, à la fois poète, dramaturge, essayiste, et biographe.

Ce poème vous a-t-il touché ? Partagez votre avis, critique ou analyse !

Votre commentaire est une étoile dans notre ciel poétique. Brillez avec le vôtre.
S’abonner
Notifier de
Avatar
guest
0 Avis
Inline Feedbacks
View all comments

Un jour, quand de lyver l’ennuieuse froidure

Princes de la Chine