Épître au nom des rossignols du parc d’Alençon

A la reine de Navarre, duchesse d’Alençon.

Par cette épître en style rude écrite,
Princesse illustre, ô reine Marguerite,
Puisque plus loin ne t’ont pu convoyer,
Humble salut te veulent envoyer,
Ceux qui pour toi ont dit mainte chanson,
Les rossignols de ton Parc d’Alençon.
Ô quelle joie ! ô quel plaisir nous vint
Quand jusqu’à nous la nouvelle survint
De ta venue en ton Parc, qui peut être
A peu nommé un Paradis terrestre.
Lors ciel et terre, oiseaux, arbres et bêtes,
Pour t’honorer menaient grand’joie et fêtes.
Le ciel fut doux et en température,
Sans offenser aucune créature.
Vesta d’hiver rudement mise nue
Fut revêtue à ta belle venue
D’un beau vert gai, semé épaissement
De toutes fleurs, odorant doucement.
Quant aux oiseaux, chacun se vint vanter
A son pouvoir de doucement chanter.
Nous les premiers, comme c’était raison,
Trop mieux chantants, et sans comparaison,
Avisâmes ensemble de pourvoir
A notre fait, pour mieux te recevoir.
Tout consulté fut avisé qu’aux champs
A peine orrois nos mélodieux chants
Pour le grand bruit que lors on démenait
De la grand’joie : et que mieux convenait
Ici t’attendre en accordant les sons
De nos motets et joyeuses chansons,
En dégoisant notre plaisant ramage.
D’une autre part, le bestial sauvage
Sautait, jouait, ayant moult grand désir
A son pouvoir, augmenter ton plaisir.
Quant aux arbres, un chacun se para
De feuille et fleur et bien se prépara :
Nouvelle vint tantôt de ta venue
De quoi la ville en joie fut émue.
Honnêtement chacun se mit avant
Pour t’honorer et aller audevant.
Lors oyaiton l’artillerie tonner,
Cloches partout à carillon sonner.
Feux sont de joie, et les maisons tendues,
Fleurs et odeurs par les rues épandues.
Dizains, quatrains, épigrammes, distiques,
A ta louange, on met ès voies publiques,
Noël de joie ont crié mille voix,
Dont Écho fit résonnance en ce bois.
Bien semble au peuple et pas n’en est déçu,
Qu’avecques toi un grand bien a reçu.
Droit à l’Église, ainsi qu’était raison,
Voulut aller faire à Dieu oraison.
Les prêtres, lors, Te Deum haut chantèrent,
Où les orgues doucement accordèrent.

A ton retour de l’Église on t’amène
Dedans ton Parc, en ton plaisant domaine.
Entrant tu vis arbres fleuris et verts
Te saluant par beaux carmes et vers.
Telle vertu oncques ne fut donnée
Au divin chêne étant en Dodonée,
Ou a l’ormeau qui fit parler apert
Tespesion, gymnosophiste expert,
Les Dryades, Hamadryades gentes,
Rire on voyait par rimules et fentes,
Des écorces des bois où sont cachées,
Et d’être vues de toi ne sont fâchées,
Muses aussi, et nymphes de Bruyante
Font résonner sa très claire eau courante.
L’air était doux, sans chaleur ou froidure,
Vesta montrait sa robe de verdure
Que le printemps lui a donnée sans feinte
D’herbe menue entrelacée et peinte
De toutes fleurs que l’on pourrait chercher,
Pour te servir de tapis à marcher.
Les biches font sauts, courses et brisées
Quand ont connu que les a avisées,
Les cerfs semblent faire tournois et joutes ;
Et les faonneaux gambades, virevoustes,
Petits connils, courants à la traverse,
Puis çà, puis là, l’un l’autre bouleverse.
Bref chacun fait du mieux dont il s’avise.
Quant aux oiseaux, chacun chante à sa guise,
Du mieux qu’il peut, mélodieusement ;
Mais nous, sur tous, harmonieusement,
Notre salette avions lors disposée
A jour et nuit chanter sans reposée,
Tantôt en bien et puis en mieux changer,
Sans avoir soin de dormir ou manger,
Faisant toujours nouveau ton de musique,
De quoi très bien nous savons la pratique
En plusieurs lieux épars, pour être ouïs :
Et que les tiens en fussent réjouis
Avecque toi, ainsi que de ta part,
Du tien leur fais très volontiers départ.
A ton réveil bien nous pouvais ouïr
Par tous moyens, pensant te réjouir,
Et si oiseaux et hôtes font devoir,
Si font les gens comme tu as pu voir.
Car tu as vu (ô dame d’excellence)
Par chacun jour jouer en ta présence
Grands et petits, chacun en son pouvoir,
Dont ta bonté contente est du vouloir.
Suppliant ce qu’ils ne peuvent parfaire
Et qu’envers toi ne pourraient satisfaire.

Écrit au Parc, pour ton esprit ébattre,
L’an quinze cent quarante avecques quatre,
Le jour saint Marc en avril gracieux,
Tes Rossignols, de te voir soucieux.

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Par Guillaume Le Rouillé

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