Contre une nuit trop claire

Philippe Desportes
par Philippe Desportes
0 vues
0.0

Ô Nuit ! jalouse Nuit, contre moi conjurée,
Qui renflammes le ciel de nouvelle clarté,
T’aije donc aujourd’hui tant de fois désirée
Pour être si contraire à ma félicité ?

Pauvre moi ! je pensais qu’à ta brune rencontre
Les cieux d’un noir bandeau dussent être voiles
Mais, comme un jour d’été, claire tu fais ta montre,
Semant parmi le ciel mille feux étoilés.

Et toi, soeur d’Apollon, vagabonde courrière,
Qui pour me découvrir flambes si clairement,
Allumestu la nuit d’aussi grande lumière,
Quand sans bruit tu descends pour baiser ton amant ?

Hélas! s’il t’en souvient, amoureuse déesse,
Et si quelque douceur se cueille en le baisant,
Maintenant que je sors pour baiser ma maîtresse,
Que l’argent de ton front ne soit pas si luisant.

Ah ! la fable a menti, les amoureuses flammes
N’échauffèrent jamais ta froide humidité;
Mais Pan, qui te connut du naturel des femmes,
T’offrant une toison, vainquit ta chasteté.

Si tu avais aimé, comme on nous fait entendre,
Les beaux yeux d’un berger, de long sommeil touchés,
Durant tes chauds désirs tu aurais pu apprendre
Que les larcins d’amour veulent être cachés.

Mais flamboie à ton gré, que ta corne argentée
Fasse de plus en plus ses rais étinceler :
Tu as beau découvrir, ta lumière empruntée
Mes amoureux secrets ne pourra déceler.

Que de fâcheuses gens, mon Dieu ! quelle coutume
De demeurer si tard dans la rue à causer !
Otezvous du serein, craignezvous point le rhume ?
La nuit s’en va passée, allez vous reposer.

Je vais, je viens, je fuis, j’écoute et me promène,
Tournant toujours mes yeux vers le lieu désiré ;
Mais je n’avance rien, toute la rue est pleine
De jaloux importuns, dont je suis éclairé.

Je voudrais être roi pour faire une ordonnance
Que chacun dût la nuit au logis se tenir,
Sans plus les amoureux auraient toute licence;
Si quelque autre faillait, je le ferais punir.

Ô somme ! ô doux repos des travaux ordinaires,
Charmant par ta douceur les pensers ennemis,
Charme ces yeux d’Argus, qui me sont si contraires
Et retardent mon bien, faute d’être endormis.

Mais je perds, malheureux, le temps et la parole,
Le somme est assommé d’un dormir ocieux
Puis durant mes regrets, la nuit prompte s’envole,
Et l’aurore déjà veut défermer les cieux.

Je m’en vais pour entrer, que rien ne me retarde,
Je veux de mon manteau mon visage boucher ;
Mais las ! je m’aperçois que chacun me regarde,
Sans être découvert, je ne puis approcher.

Je ne crains pas pour moi ; j’ouvrirais une armée,
Pour entrer au séjour qui récèle mon bien;
Mais je crains que ma dame en pût être blâmée,
Son repos, mille fois m’est plus cher que le mien.

Quoi ? m’en iraije donc ? mais que voudraisje faire ?
Aussi bien peu à peu le jour s’en va levant,
Ô trompeuse espérance ! Heureux cil qui n’espère
Autre loyer d’amour que mal en bien servant !

Diverses amours

Philippe Desportes

Qu’en pensez-vous ?

Partagez votre ressenti pour Philippe Desportes

Noter cette création
1 Étoile2 Étoiles3 Étoiles4 Étoiles5 Étoiles Aucune note
Commenter

Vos commentaires sont le carburant de notre inspiration. Alimentez notre feu poétique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Nouveau sur LaPoesie.org ?

Première fois sur LaPoesie.org ?


Rejoignez le plus grand groupe d’écriture de poésie en ligne, améliorez votre art, créez une base de fans et découvrez la meilleure poésie de notre génération.