La Toison d’Or

I
Je vois au grand soleil tes cheveux insolents

Rayonner et frémir, dignes d’un chant lyrique.

Jaunes comme l’arc d’or de la nymphe homérique,

Ils courent sur ton sein par de hardis élans.
Et l’ivoire qui mord leurs anneaux ruisselants,

Avant de contenir cette extase féerique

Arrêterait plutôt les fleuves d’Amérique

Où la neige des monts pleure depuis mille ans.
Pour caresser tes lys que la lumière adore,

Et tes blancheurs d’étoile et tes rougeurs d’aurore,

Ils tombent sur tes reins en flots impétueux.
Pareille aux plis épars de la poupre qui saigne,

Pour venir embrasser ton corps voluptueux

Leur onde se dérobe aux baisers de ton peigne.
II
Tel brille un vin de flamme à travers sa prison,

Tels rayonnent, vainqueurs des nuages moroses,

Dans les cieux empourprés à ces métamorphoses,

Les jardins du soleil en pleine floraison ;
Telle, cette ondoyante et soyeuse toison

S’étale fièrement sur des bosquets de roses,

Et, pour cacher l’Amour en leurs apothéoses,

Les topazes et l’or y brillent à foison.
S’il eût peint avant moi cette riche crinière,

Rubens, illuminant de clartés l’atmosphère,

En eût fait à l’entour un splendide foyer,
Comme jadis, afin d’éterniser ta gloire,

Les sculpteurs de l’Attique eussent fait flamboyer

L’or pur sur les blancheurs tranquilles de l’ivoire.
III
Déroule tes cheveux, divins comme ta voix !

Leurs cheveux étaient blonds, quand les filles de l’Onde,

Les Grâces sans ceinture et les Nymphes des bois

Dansaient en s’embrassant dans la forêt profonde.
Mais ces bandeaux, pareils aux ornements des rois,

Chaque jour à présent disparaissent du monde,

Et sans doute, ô ma soeur, pour la dernière fois,

J’ai sur ton front charmant baisé la beauté blonde.
Lorsque Orphée, envieux de ce rare trésor,

Partit pour enlever l’antique toison d’or,

Pour la chanter ensuite il emporta sa lyre.
J’ai comme le héros accompli mon dessein,

O Nymphe, et maintenant, vaincu par mon délire,

Je célèbre cet or, parure de ton sein.
IV
Ainsi tu revivras telle que nous t’aimâmes

Avec tes grands cheveux qui baisent ton orteil,

Et les astres qui sont les demeures des âmes

Diront ce diadème à leurs rayons pareil.
Pour te donner le nimbe ardent que tu réclames,

J’ai volé dans l’azur les feux du ciel vermeil,

Et, pour dorer ton front de lumière et de flammes,

J’ai pris dans mes deux mains les couchers du soleil.
Car, messager céleste aux yeux remplis d’étoiles,

Je n’ai pas fait fleurir mon rêve sur les toiles,

Ni dans l’airain sacré, ni sur les marbres blancs.
Mais, plus heureux, je tiens cette lyre de l’Ode

Qui brave mille hivers, et cache dans ses flancs

Le grand art de Sappho, d’Orphée et d’Hésiode.
Octobre 1849.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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